Éric Ciotti : « Notre démocratie a besoin de vrais clivages »
Après une séquence positive sur l’immigration, le président des Républicains, Éric Ciotti, veut faire de la lutte contre le trafic et la consommation de drogue une priorité nationale. Il dévoile plusieurs propositions dans un entretien à Valeurs actuelles.
Vous avez lancé des états généraux de la droite. Est-ce un moment de clarification pour votre parti ?
Oui, incontestablement. Ces états généraux marquent le retour de la droite républicaine. Je crois profondément que le pays a besoin d’une droite tout à la fois forte de ses convictions, responsable dans ses actes et novatrice dans ses idées. Ces états généraux doivent incarner un bouillonnement d’idées neuves qui n’évitent aucun sujet.
C’est donc la fin des tabous et de l’autocensure chez Les Républicains ?
Ces mots ne me concernent pas personnellement peu applicables. Des tabous ont pu entraver dans le passé l’action de notre famille politique. Nous avons dépassé aujourd’hui ces blocages notamment avec nos propositions de profonde rupture sur l’immigration avec ce principe essentiel de supériorité du droit français en matière de politique migratoire. Je souhaite que nous reparlions à l’ensemble des électeurs de droite avec clarté. Ils l’attendent et l’espèrent.
Ressentez-vous un trouble chez certains électeurs qui veulent savoir si la doctrine des Républicains est soluble, ou non, dans le macronisme ?
Nous avons besoin de redéfinir notre logiciel idéologique. Nous n’avons pas à nous positionner par rapport à d’autres que cela soit vis-à-vis de la majorité ou du Rassemblement national. Nous sommes indépendants et je n’ai qu’un objectif, que les Républicains retrouvent la place qui convient le mieux : la première. Si nous avons un discours clair, des actes forts, un programme innovant, nous y arriverons. La marque de fabrique du macronisme, le « en même temps », restera comme une incapacité à trancher entre deux lignes idéologiques. Notre démocratie a besoin de vrais clivages.
On a lu ici ou là que vous pourriez travailler avec Emmanuel Macron, notamment au ministère de l’Intérieur, place Beauvau…
Tout cela relève de la mauvaise politique fiction visant à nous affaiblir. J’ai été élu dans l’opposition. Aujourd’hui, Les Républicains sont dans l’opposition mais nous voulons apporter des solutions à un pays qui va mal. Les Républicains veulent incarner une opposition responsable et qui doit être crédible pour incarner l’alternance. Nous avons eu une attitude claire sur la réforme des retraites qui a permis à cette réforme d’être adoptée. Je ne me dissimulerai pas : sans Les Républicains, la réforme des retraites n’aurait pas été adoptée. Nous avons également pris nos responsabilités sur l’immigration. Le président de la République refuse d’y répondre. Nous lui avons écrit le mois dernier avec Bruno Retailleau et Olivier Marleix. Il ne nous a toujours pas répondu. Ce que nous voulons, c’est sortir le pays du chaos. Nous ne cherchons pas de places ni de postes. Tout ce qui compte, c’est l’intérêt de la France.
Dans quelles conditions une cohabitation serait-elle envisageable ?
Pour qu’il y ait un pacte de gouvernement, il faut qu’il s’établisse sur la base de nos propositions. Or, aujourd’hui, nous mesurons bien que ce n’est pas le cas ni sur la réduction des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques, de la réduction des flux migratoires ou de la sécurité. Là, on assiste à une forme de politique fiction qui agite la sphère médiatique, mais qui n’agite pas Les Républicains.
Sur l’immigration, quelles sont vos lignes rouges ?
Je suis convaincu qu’on n’inversera la tendance en matière migratoire que si les Français ne prononcent par référendum pour modifier notre Constitution et retrouver le cours de notre destin. Nous avons fait des propositions adaptées, notamment autour de la définition d’un plafond annuel des titres de séjour qui serait voté chaque année et qui s’imposerait à toutes les autorités nationales, européennes ou internationales.
Et sur le texte du gouvernement ?
Sur le texte simple tel que l’avait présenté le gouvernement, nous posons une ligne rouge absolue : le refus de toute forme de régularisation massive des travailleurs clandestins. Le principe des « métiers en tension » avancé par le gouvernement est une supercherie. On compte cinq millions de personnes encore inscrites à Pôle emploi. C’est une question qui doit relever de la politique de l’emploi, de la formation, de l’apprentissage, mais pas de la politique migratoire. J’y vois un alibi totalement déplacé. Si nous régularisons ceux qui sont arrivés illégalement en France et ceux qui ont travaillé de façon clandestine, cela va créer un appel d’air extraordinairement dangereux. Par ailleurs, le message serait catastrophique : récompenser ceux qui ne respectent pas nos lois.
Avez-vous été étonné par le succès de votre séquence immigration ? Ce n’est pourtant pas la première fois que votre parti s’empare de la question…
Pour la première fois depuis très longtemps, le débat s’est fait autour de nos propositions. C’est un changement important, très positif pour nous. Nous avons été critiqués de toutes parts, aussi bien par la majorité que par le Rassemblement national. C’est bon signe. Le RN nous accuse d’avoir plagié leurs propositions ? Cela fait un an maintenant qu’il y a des députés RN à l’Assemblée nationale: ils n’ont jamais déposé de texte sur l’immigration. Il n’y a donc pas de copie ! C’est bien d’en parler. C’est encore mieux de concrétiser les paroles par des actes. C’est la différence entre un parti de gouvernement et un parti de slogan.
Comment, justement, concrétiser cette séquence positive en victoire électorale ?
Nous devons avancer sur trois piliers idéologiques. L’autorité, avec une volonté de rétablir l’ordre républicain ; l’identité, avec la volonté de conserver une civilisation dont nous sommes les héritiers, ; la liberté économique, là est notre réelle différence avec la majorité ou le RN. Nous sommes un pays qui crève de l’accumulation de dépenses publiques, de normes et de taxes. Je souhaite que nous soyons le parti de la baisse des impôts et des charges. Nous devons faire souffler un grand vent de liberté. Cela me paraît essentiel face au « tout technocratique », face à la mise en œuvre des ZFE, ZAN ou DPE. Une politique de ségrégation sociale majeure est en train de s’installer sous nos yeux. On va interdire aux Français les plus modestes de rentrer en ville. On va interdire aux maires de gérer leurs territoires et aux propriétaires de disposer librement de leur bien. C’est quasiment l’effacement de la décentralisation, un retour en arrière de 40 ans.
Ces trois piliers ne sont pas nouveaux dans le logiciel de la droite. Les derniers échecs électoraux se sont, en partie, basés dessus…
Certes, mais il nous a manqué une incarnation forte.
Il ne s’agit que d’une question d’incarnation ?
16 ans après notre dernière victoire à l’élection présidentielle, les Français ne savent plus ce que pense la droite. C’est pour cela que je veux que nous retrouvions d’ici 2027, un corpus idéologique fort sur l’ensemble des sujets y compris l’écologie, l’industrie, la santé ou l’éducation. Par ailleurs, en 2027, la donne sera différente : Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter.
Certains, comme Richard Ferrand, proposent d’inscrire dans la Constitution la possibilité d’un 3e mandat présidentiel…
La Constitution voulue par le général de Gaulle a fait entrer la France dans la modernité et lui a donné un statut de grande puissance. Je trouve que les modifications intervenues depuis 1958 ont rarement été opportunes. Le quinquennat fut une erreur. Au-delà de la Constitution, le non cumul a eu des conséquences funestes. Réfléchir à corriger ces erreurs ne me choque pas. Mais si une telle réforme devait intervenir, elle ne pourrait concerner le mandat d’Emmanuel Macron.
« Je ne dirais pas que Macron c’est la catastrophe », dit Laurent Wauquiez dans les colonnes de Le Point. Partagez-vous cette sortie et cette tentation de draguer l’électorat macroniste ?
Des électeurs de droite ont voté pour lui. Je ne me résous pas à ce que nous ne les récupérions pas. Beaucoup sont susceptibles de revenir vers nous parce qu’ils adhèrent au moins à l’un des trois piliers que j’ai évoqués. C’est leur ADN politique. Je ne veux ostraciser personne. Je crois que nous devons tout autant parler aux électeurs qui nous ont quittés pour Marine Le Pen qu’aux électeurs qui nous ont quittés pour Emmanuel Macron.
Pouvez-vous leur tendre la main tout en critiquant le bilan d’Emmanuel Macron ?
Bien-sûr que je veux leur tendre la main ! Ils ont souvent été déçus. Aujourd’hui, ils cherchent une alternative. Je souhaite qu’ils reviennent à la maison.
On pourrait vous rétorquer qu’Édouard Philippe semble être le mieux placé pour récupérer les électeurs orphelins de la macronie…
Édouard Philippe a été un pilier porteur du premier quinquennat. Celui des impôts, de l’insécurité, de l’augmentation folle des dépenses et de l’absence de réforme. Il restera tributaire de ce bilan. Il a participé au vote de la loi Collomb. Il a été celui qui a fait augmenter les prélèvements obligatoires. Il doit y avoir une cohérence dans la vie politique. Je constate un écart important entre ce qu’il a fait et ce qu’il dit aujourd’hui.
Comment expliquez-vous sa popularité ?
Souvent, ceux qui sont les plus hauts dans les sondages sont ceux qui agissent le moins. Quand vous prenez des risques, vous prenez des coups. C’est peut-être le miroir inversé de la capacité à agir. Le bilan de monsieur Philippe se trouve dans l’augmentation de la violence dans nos villes, dans nos rues, avec l’explosion du trafic de drogue qui a pris le pouvoir dans certains quartiers. A Nice, dans un quartier comme celui des Moulins, des gens circulent quotidiennement avec des armes à la main…
Comment nettoyer un quartier comme celui des Moulins ?
Il faut faire de la lutte contre le trafic et la consommation de drogue une priorité nationale. Nous proposerons un plan de lutte contre la drogue dans quelques jours. La France est le pays d’Europe où la consommation de drogue est la plus élevée. Pourquoi ? Parce que nous avons banalisé cette consommation. Parce qu’il existe des cercles qui valorisent la consommation de cannabis. Parce qu’il n’y a aucune campagne de prévention sur les dangers de la drogue, notamment à l’école. Parce que la consommation est, dans les faits, très peu sanctionnée. Je propose de multiplier par cinq les amendes forfaitaires. Je souhaite que les consommateurs soient nommés publiquement, que nous allions beaucoup plus loin dans les saisies. Aujourd’hui, à peine 35 % des amendes sont recouvrées. Quand on agit sur la demande, on fait reculer l’offre.
« Nommer publiquement » les consommateurs ? C’est-à-dire ?
Il y aura une liste de ceux qui auront reçu une amende. Tous les Français pourront la consulter sur le site du ministère de l’Intérieur. Arrêtons de banaliser la consommation. C’est un marché de 3,5 milliards d’euros, 100 000 personnes semblent en vivre. Il existe une forme de dépénalisation de la consommation. Quand les trafiquants sont arrêtés, il y a des peines qui sont souvent lourdes, mais il faut qu’elles soient plus systématiques.
Comment durcir le ton ?
Il faut réactiver les GIR créés par Nicolas Sarkozy. Nous devons mobiliser tous les acteurs, avec sans doute des magistrats spécialisés sur le trafic de drogue, avec une action judiciaire forte, avec une action du fisc, des douanes, de tous les services de l’État pour traquer le blanchiment, la corruption. La réponse pénale doit être plus ferme. Pour cela, nous avons besoin de places de prison.
Faut-il mettre fin à la politique de la « paix sociale » qui semble être appliquée dans certains quartiers ?
Quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, il y a eu cinq semaines d’émeutes, il a tenu. La République a gagné, elle n’a pas reculé. La droite a tenu. Malheureusement, le gouvernement a reculé à Notre-Dame-des-Landes. Avec les zadistes et l’ultra-gauche, une autre forme de violence prospère.
La violence a-t-elle changé de nature ?
En dix ans, le nombre de coups et blessures volontaires a doublé dans notre pays et le nombre d’homicides et de tentatives d’homicide a augmenté de 50 %. La réalité est là. Nous sommes dans une société beaucoup plus violente, à laquelle on peut rajouter aussi une forme de violence politique entretenue par l’extrême gauche qui, lorsque l’on voit les exactions qui ont été commises à partir de Notre-Dame-des-Landes, dans les ZAD à Saintes–Solines, installe un climat de violence.
Certains vous diront qu’il y a une forme violence politique dans la gestion de la réforme des retraites par le gouvernement…
Je n’irai pas dans cette analyse. Le débat parlementaire, quel qu’il soit, n’est pas une violence politique. C’est la démocratie. La violence, c’est quand on tire sur des policiers, quand on veut les brûler, quand on leur lance des pavés dessus. Les mots ont un sens, ne les galvaudons pas. La seule violence politique est portée par une extrême gauche qui est un danger pour la République. L’ennemi, c’est l’extrême gauche. Le danger, c’est l’extrême gauche. Elle veut abattre la République et ses institutions. Elle arme intellectuellement ceux qui attaquent nos policiers. Elle dit que la police tue !
Que pensez-vous du terme de « décivilisation » employé par Emmanuel Macron ?
Je ne fais pas partie de ceux que le mot effraie. Il faut toujours « dire ce que l’on voit et voir ce que l’on voit », selon la formule de Péguy. Aujourd’hui, nous sommes dans une forme d’ensauvagement, oui, de décivilisation. Les images de cette grand-mère agressée avec sa petite fille à Bordeaux par un barbare multirécidiviste ont choqué la France entière. Beaucoup de nos structures se sont fragilisées. Je parle des piliers porteurs comme la famille, l’école ou l’autorité. C’est un travail de reconstruction qu’il faut engager.
Le Mariage pour Tous et la PMA ont-ils été des atteintes à la famille sous sa forme traditionnelle ?
Je ne considère pas que ce sont des éléments de déconstruction de notre société. Cela ne constitue pas une menace pour notre société.
Qu’est-ce qui menace le plus la famille ?
Incontestablement la baisse de la natalité et l’effondrement du niveau scolaire.
Après quelques semaines de turbulences, la situation s’est apaisée pour vous. Avez-vous douté ?
Je savais que la mission ne serait pas simple. Je n’ai pas été déçu. Je suis confiant et je sais où je veux aller. Les briques que nous sommes en train de poser pour reconstruire la maison sont en train de commencer à s’articuler. Depuis quelques semaines, le regard change. Nous étions considérés comme morts. Nous pesons encore.
C’est un job ingrat ou enviable ?
Ni l’un ni l’autre. J’ai repris le parti après la défaite inédite de 2022. J’essaie de foncer et de ne pas douter. Tout est à reconstruire mais je suis déterminé.
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