Olivier Marleix : « Toute désunion nous rend illisibles »
Olivier Marleix, chef des députés LR, défie Darmanin de retirer de sa loi immigration le volet sur les régularisations et appelle ses troupes à la cohérence.
Gérald Darmanin-Pedro Sanchez, même combat ? À écouter Olivier Marleix, président des députés Les Républicains, le ministre de l’Intérieur est en passe de faire adopter le même dispositif de régularisation des clandestins que le chef du gouvernement socialiste espagnol. Aussi propose-t-il au « premier flic de France » le deal suivant : retirer purement et simplement de son texte de loi sur l’immigration, dont l’examen démarre ce lundi dans l’hémicycle de l’Assemblée, cette mesure honnie par la droite. Faute de quoi, l’exécutif n’aura pas les voix de LR et sera condamné au 49.3.
« Si on veut définitivement installer Marine Le Pen à l’Élysée, continuons à faire semblant » sur les questions migratoires, alerte-t-il, concédant que la patronne du Rassemblement national est aujourd’hui « en pole position » pour l’emporter en 2027. À ses troupes, Olivier Marleix adresse aussi le message suivant : « Toute désunion nous rend illisibles. » Et ce, alors que les 62 députés LR sont divisés sur l’opportunité de voter la motion de rejet du projet de loi Darmanin, qui sera défendue ce lundi par les écologistes.
Vous avez d’ores et déjà annoncé que vous voteriez contre le projet de loi de Gérald Darmanin sur l’immigration, au terme de son examen à l’Assemblée. Pourquoi abattre votre jeu avant même l’ouverture des débats ?
Nous avons une ligne rouge : le projet de régularisation massif des sans-papiers. C’est pour nous, vu la situation du pays, totalement inacceptable. Plus généralement, le projet de loi présenté par le gouvernement ne sera pas en mesure de réguler les flux migratoires. Le Sénat avait amendé profondément ce texte. Après passage en commission des Lois à l’Assemblée, il n’en reste rien : elle a retiré 31 articles ajoutés par les sénateurs LR et vidé de sa substance les autres. Or, ces modifications sont irrémédiables. Les mesures portant sur le Code de la nationalité, en particulier, ne pourront plus être réintroduites. Ça limite beaucoup les chances d’aboutir à un accord !
Sur ces régularisations, le texte peut encore évoluer pendant les débats. Au Sénat, la majorité de centre droit a bien trouvé un compromis !
La proposition du gouvernement revient à créer un véritable droit individuel à la régularisation. À rebours de la situation actuelle, où chaque cas est examiné individuellement par le préfet, il suffira à l’avenir de justifier de trois ans de séjour et de huit mois de travail dans un métier en tension pour être régularisé. On s’achemine vers une régularisation massive, qui est un mantra de la gauche ! Une étude de l’Irdes [Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, NDLR] a montré que 40 % des clandestins en France ont plus de trois ans de résidence. Sur 900 000 clandestins présents sur notre sol, cela voudrait dire que 360 000 ont déjà trois ans de résidence et remplissent la première condition pour être régularisés. Par ailleurs, 68 % des clandestins, selon cette étude, sont de jeunes hommes de 18 à 40 ans. On peut imaginer que la plupart ont une activité dans un métier en tension pour subvenir à leurs besoins et remplissent déjà le second critère. Les deux grandes périodes où on a régularisé en France sont 1981, quand François Mitterrand arrive au pouvoir, et 1997, lorsque Lionel Jospin devient Premier ministre. À l’étranger, ça a été une exigence du Mouvement 5 étoiles en Italie, avec 200 000 régularisations sous le gouvernement Conte, et en Espagne avec Zapatero – 600 000 régularisations en 2008 –, puis le gouvernement Sanchez. Je note que la mesure que nous propose Gérald Darmanin est un copier-coller de ce que fait le gouvernement socialiste espagnol de Pedro Sanchez ! Chacun ses convictions. Nous, nous voulons moins d’immigration et cela ne peut pas commencer par des régularisations massives.
À vos yeux, c’est donc irrattrapable…
D’autant plus que ce droit à la régularisation est ouvert jusqu’en 2028. Grâce à une disposition du texte, des gens qui ne sont pas encore sur le territoire français et arriveraient comme demandeurs d’asile pourront travailler dès le premier jour. Nous serons le pays d’Europe le mieux-disant en matière d’accueil des demandeurs d’asile. Et, au bout de huit mois de travail, ils rempliront automatiquement un des deux critères pour être régularisés. Gérald Darmanin essaie de nous vendre son projet en mettant en avant des mesures de fermeté – la facilitation des expulsions d’étrangers délinquants, que nous lui avons proposée il y a un an dans notre niche parlementaire et qu’il a refusée –, mais il veut, dans le même temps, nous imposer des mesures de régularisation totalement inacceptables.
Quel effort du gouvernement pourrait vous convaincre de voter ?
Qu’il retire cette mesure de régularisation et on pourra discuter.
Il n’y a aucune chance que ça se produise, vous le savez…
Je note qu’en commission des Lois, la majorité a voté main dans la main avec La France insoumise et la Nupes sur la suppression de tous les ajouts du Sénat. Il en a été de même sur notre projet de loi constitutionnelle : Gérald Darmanin s’est appuyé sur les amis de Jean-Luc Mélenchon pour le rejeter. À un moment, il faut choisir un projet clair. Ce texte montre la limite du « en même temps ».
La proposition de LR de réviser les accords migratoires de 1968 avec l’Algérie a été rejetée à 37 voix près, malgré le soutien de députés Horizons proches d’Édouard Philippe. Élisabeth Borne a pourtant fait un pas dans cette direction…
Pour l’instant, ce sont des mots. Il n’y a aucun espoir à court terme que le gouvernement s’attelle à cette révision, pour la simple raison que le président algérien Abdelmadjid Tebboune va se soumettre à une nouvelle élection présidentielle fin 2024. Je ne vois pas la France obtenir de lui une dégradation des droits des Algériens à venir en France. L’Algérie est un grand pays, nos relations avec elle sont stratégiques pour l’avenir, mais nous devons reposer des fondations.
Une motion de rejet du projet de loi Darmanin va être débattue ce lundi, déposée par les députés écologistes. Appelez-vous l’ensemble de l’opposition à la voter pour écarter ce texte, quitte à mêler vos voix à celles de la gauche ?
Cette motion de rejet présente un intérêt : si elle était votée, le gouvernement serait obligé de reprendre les discussions sur la base du dernier texte adopté, à savoir celui du Sénat. Cela permettrait de rouvrir les discussions sur le code de la nationalité. Vous aurez votre réponse lundi après-midi dans l’hémicycle !
On a du mal à suivre la droite : vous jouez le jeu au Sénat en musclant le texte du gouvernement, et vous vous opposez radicalement à l’Assemblée…
Mais c’est le gouvernement qui a rejeté à l’Assemblée ce qu’il avait accepté au Sénat ! Les Républicains sont cohérents. Depuis un an et demi, je rencontre la Première ministre régulièrement pour évoquer les réformes que le président lui demande de soumettre au Parlement. Je lui ai expliqué qu’il n’y aurait pas de difficulté majeure sur certaines, que nous avions des réserves sur d’autres. Sur les textes budgétaires, notamment, nous ne serons pas dans la coproduction. Et sur l’immigration, je lui ai toujours tenu le même discours : « C’est une zone rouge, vous ne nous entraînerez pas sur des décisions contraires à nos valeurs. » Les Français ne supportent plus qu’on fasse semblant en matière d’immigration. S’ils ont le sentiment que cette loi ne change rien, ils ne pardonneront pas à ceux qui l’auront votée. Si on veut définitivement installer Marine Le Pen à l’Élysée, continuons à faire semblant. Nos compatriotes attendent un changement radical, et il ne viendra pas de ce texte.
Êtes-vous sûr que les 62 députés de votre groupe suivront, in fine, vos consignes de vote ?
Je ne vois pas un député de droite voter pour des régularisations massives, ni voter un texte qui fait de la France le pays le mieux-disant en matière d’accueil des demandeurs d’asile. En 2022, on a recensé près de 980 000 demandes d’asile dans l’Union européenne. La France et l’Allemagne sont les deux pays les plus attractifs. Si on adoptait la mesure qui permet à un demandeur d’asile de travailler dès le premier jour, nous serions davantage submergés par les demandes ! Je rappelle qu’elles ont triplé depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Si le gouvernement dégainait le 49.3 sur ce texte, vous déposeriez aussitôt une motion de censure ? Il faut 58 députés, en avez-vous encore les moyens ?
Le ministre de l’Intérieur répète à qui veut l’entendre qu’il ne veut pas de 49.3. Je me fie à sa parole, comme à celle de la Première ministre qui nous a expliqué qu’elle ne voulait plus de passage en force, en dehors des textes budgétaires. C’est à eux qu’il revient de construire les conditions d’un accord : soit en retirant les articles incriminés, soit en soumettant in fine ce texte au vote, et chacun prendra ses responsabilités. Lors des législatives de 2022, les Français ont mis le président Macron sous tutelle en le privant de majorité. Ils lui ont signifié qu’il n’avait pas les pleins pouvoirs. Sur la réforme des retraites, celle de l’assurance chômage ou les 15 heures d’activité obligatoires pour les allocataires du RSA – issues d’un amendement des Républicains –, nous poussons le gouvernement à aller dans le bon sens car il faut redresser nos finances. Mais un fossé nous sépare de la vision du président sur un sujet aussi essentiel que l’immigration.
Aucune réforme d’Emmanuel Macron ne trouve grâce à vos yeux ?
J’ai surtout du mal à voir ce qu’auront été le cap et la cohérence de ces six années. Emmanuel Macron a fait des virages à 180 degrés sur des sujets aussi essentiels que l’énergie. Il a été capable, fin 2018, d’annoncer la fermeture de 14 réacteurs nucléaires et de dire deux ans plus tard qu’on allait doubler nos capacités nucléaires, et maintenant les tripler. Le président parle sans arrêt, depuis le Covid, de « souveraineté industrielle », mais il laisse démembrer Atos, notre géant du numérique. Derrière les mots, il ne se passe pas grand-chose. Prenez la question de la sécurité. Nous avons voté une loi de programmation qui dote les forces de l’ordre de moyens importants. Cela va dans le bon sens et nous avons voté cette loi. Mais derrière ça, nous avons gardé le même arsenal pénal que sous Christiane Taubira, il y a quand même une énorme contradiction ! Tous les policiers nous le disent : ils en ont assez d’arrêter la même personne trois fois en une semaine, en sachant très bien qu’elle sera relâchée immédiatement, faute de poursuites ou de peines véritablement appliquées. L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a été une opération de marketing très réussie, qui a suscité, il est vrai, de l’enthousiasme chez beaucoup de nos compatriotes, mais le « en même temps » ne marche pas.
Éric Ciotti dirige votre parti depuis un an. Que dites-vous aux militants LR qui ont le blues ?
Je rends hommage au travail d’Éric, qui a engagé un travail de fond en créant un think tank notamment pour réfléchir sur les idées, de nouveaux outils de communication. C’est un bosseur. Nos militants veulent l’unité, et la cohérence dans les idées. Toute désunion nous rend illisibles. L’enjeu de l’après-Macron, ce sera la réconciliation nationale. Or, ceux qui apparaissent comme les meilleurs opposants du président, le RN et LFI, auront été ses meilleurs complices. Ce jeu à trois a radicalisé les électeurs de gauche en les poussant dans les bras de Jean-Luc Mélenchon et radicalisé une partie des électeurs de droite en les poussant dans les bras de Marine Le Pen. Cette tripartition de la vie politique, avec un « bloc élitaire » d’un côté un « bloc populaire » fracturé de l’autre, est détestable.
L’élection de Marine Le Pen vous semble-t-elle inéluctable ?
Il ne faut pas se leurrer, elle est en pole position à ce stade. Mais elle inquiète toujours autant par son absence de solidité sur les sujets économiques, dans un pays d’épargnants, ça compte, et sur ses ambiguïtés sur la scène internationale. Quand arrivera l’heure de la mi-quinquennat, les électeurs chercheront une alternative à Marine Le Pen et ils voudront une voix forte !
Les Républicains doivent-ils accélérer la désignation de leur candidat – a priori Laurent Wauquiez ? Ciotti avait promis de le mettre en selle au premier semestre 2023.
Je pense qu’il gagnerait à le faire à mi-mandat, après les JO, à l’automne 2024. Nous aurons alors deux ans et demi pour construire une aventure collective.
Gérard Larcher a-t-il été bien inspiré de conseiller à Mélenchon de « fermer sa gueule » ?
Pour faire sortir Gérard Larcher de ses gonds, il faut y aller ! Mélenchon est devenu un provocateur permanent, un agitateur, le gourou d’une secte qui hystérise les débats à l’Assemblée avec des députés LFI qui hurlent à tout bout de champ. Avec eux, aucun débat possible. La démocratie mérite mieux. Ça m’a rappelé le « Por qué no te callas ? » de Juan Carlos à Chavez (lors d’un sommet en 2007, l’ancien souverain espagnol avait lancé au président vénézuélien, qui avait traité José María Aznar de « fasciste » : « Pourquoi tu ne te tais pas ? »).
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