Nicolas Forissier : « Je ne supporte plus que l’on puisse dire que la France est un pays ultralibéral »
Dans ce grand entretien accordé à Contrepoints, Nicolas Forissier, secrétaire national au commerce et à l’artisanat du shadow cabinet et député de l’Indre, défend la nécessité de ressusciter la jambe libérale de la droite française. Dépenses publiques, retraites, éducation, institutions… les chantiers ne manquent pas.
Bonjour Nicolas Forissier. Vous êtes un représentant de l’aile libérale de la droite française. Mais la droite est-elle encore libérale ?
Je ne sais pas si elle l’est encore, mais je dirais qu’elle l’a été et qu’elle devra l’être dans le futur. Il ne faut pas oublier que la droite gaulliste et libérale a gouverné, à la louche, 65 % du temps de la Cinquième République. Et que, même si cela peut apparaître pour certains comme éminemment paradoxal, le plus grand libéral était peut-être de Gaulle ! On a tendance à oublier à quel point il a participé à libéraliser le pays et l’économie.
En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est que la jambe libérale de la droite française a toujours été là, au côté d’une jambe régalienne. La droite française doit absolument marcher sur ses deux jambes pour être cohérente et efficace. Giscard, qui était un grand libéral, était très sourcilleux sur la question régalienne. Chirac également
Pourtant, on a le sentiment que depuis quelques années, Les Républicains ont été amputé de leur jambe libérale…
C’est une vraie question. Je me suis engagé, avec d’autres comme Jean-Louis Thiériot, à faire restaurer cette jambe libérale, par exemple à travers le think-tank des Hussards, que l’on essaye actuellement de relancer.
Éric Ciotti, avec qui je m’entretiens régulièrement, dit la même chose et est convaincu de la nécessité de marcher sur ses deux jambes.
Je ne supporte plus que l’on puisse dire, sans rougir, que la France est un pays ultralibéral. Vous en connaissez beaucoup des pays ultralibéraux qui sont à 58 % de dépenses publiques de leur PIB ? Vous en connaissez beaucoup qui sont à 45 % de prélèvements obligatoires ?
Comme disait l’autre, on est médaille d’or de la dépense publique, et médaille d’argent des prélèvements. Il faut sortir de cette addiction aux dépenses publiques, de ces milliards qui s’envolent.
Une fois ce diagnostic posé, que faudrait-il faire ?
Je pense que la mère des batailles est la réduction des dépenses publiques.
Quand on était à 1000 milliards d’euros en capital de dette, on pouvait avoir une certaine paresse intellectuelle et se dire « ça va passer ». Mais là, il y a urgence, on est à 3 200 milliards ! On ne peut pas aller au-delà.
La France est un pays qui est en train de s’étouffer, à cause de sa technocratie et de sa bureaucratie, qui accumule de la dette, de la dépense publique, du contrôle, de la norme… Donc il faut dire stop.
La maîtrise de la dépense publique et la réduction de la dette : voici ce qui devrait être notre priorité.
Pour ce faire, il faut d’abord réduire le poids de l’État. Il est évident que l’on a beaucoup trop de fonctionnaires. Quand on compare la France à l’Allemagne, on voit qu’il y a un million de fonctionnaires de plus en France à population identique ! Alors certes, la démographie est un peu différente car il y a plus de jeunes en France, donc nécessairement, on a besoin de plus de profs. Mais même si on fait cette correction à la marge, on se retrouve avec 800 000 fonctionnaires de plus !
La crise du covid a été révélatrice, mais personne n’en a tiré de conséquences. À nouveau, si l’on compare la France et l’Allemagne : à l’hôpital outre-Rhin, ils ont un administratif quand nous en avons deux, et ils ont deux soignants quand on en a un.
Ce n’est plus possible. Il y a ici un vrai besoin de pédagogie.
Comment peut-on efficacement véhiculer et promouvoir des valeurs libérales, alors que le mot « libéral » porte en lui-même une connotation si négative ? Et comment faire avancer ces idées dans un contexte culturel intrinsèquement peu réceptif au libéralisme ?
À titre personnel, je me reconnais dans un libéralisme humaniste, capable de concilier l’ordre et la liberté, la liberté d’entreprise et le fait de ne laisser personne sur le bord de la route.
On en revient aux deux jambes : il faut un État très fort dans ses missions régaliennes, et le désengager des autres aspects de l’existence afin de laisser toutes les libertés aux individus. Pour faire cela, il faut transférer et récupérer les moyens vers les missions régaliennes. C’est une condition essentielle si nous voulons nous libérer de notre dépendance aux dépenses publiques, et ainsi briser le cycle pernicieux où une augmentation des dépenses engendre toujours une nécessité de dépenses supplémentaires.
On a également besoin en France d’un grand moment de décentralisation, de déconcentration du pouvoir. Il faut faire confiance aux élus et leur redonner les moyens de leur autonomie. On a besoin, si l’on veut réformer l’éducation, de donner une vraie autonomie aux chefs d’établissements.
On imagine l’ampleur du mouvement social si une telle réforme de l’éducation était engagée…
Évidemment ! On courbe l’échine à chaque fois car nous avons un État hyper corporatiste, donc dès qu’on essaye de changer quelque chose ça hurle directement.
On vient de le voir avec la réforme des retraites, la difficulté avec laquelle elle est passée.
Vous avez, avec certains de vos collègues députés, déposé une proposition de loi « pour assurer la pérennité de notre système de retraites grâce à l’introduction d’une dose de capitalisation ». Vous assumez donc le terme de capitalisation !
Vous vous rendez compte ? Dans la retraite par capitalisation il y a le mot « capital » ! Quelle horreur !
Je pense qu’il y en a marre de se cacher et de ne pas dire les choses. C’est extraordinaire, dans ce pays qui est socialiste, les seuls qui ont le droit à la capitalisation ce sont 4,5 millions d’agents publics. Et il n’y a qu’eux, et ensuite on les retrouve dans les manifestations pour sauver la répartition, c’est quand même hallucinant de contradictions et d’hypocrisie !
La réalité, c’est qu’il est nécessaire d’adopter une part de capitalisation. De toute façon, que ça plaise ou non, on va y être contraint. D’abord, car on ne va pas pouvoir continuer à augmenter la durée de l’âge de départ à la retraite éternellement.
Cela montre d’ailleurs que le problème est bien plus large. Le véritable sujet, ce n’est pas l’âge de départ à la retraite, mais celui de l’organisation de la vie professionnelle.
En réalité, c’est ce que Emmanuel Macron aurait dû faire : une grande réforme de réorganisation de la vie professionnelle, des carrières, de la valeur du travail, afin de sortir les gens qui, volontairement ou involontairement sont coincés dans une forme d’assistanat…
On a le sentiment, avec cet épisode des retraites, d’un immense rendez-vous manqué, d’un grand gâchis. On se dit, tout ça pour ça ?
Oui, mais la réforme actuelle était de toute manière nécessaire, car les marchés financiers, la Commission européenne et nos partenaires européens nous le demandent, et que la France est la seule à ne pas avoir fait le ménage sur ce sujet.
Il aurait mieux fallu d’ailleurs le dire clairement comme ça.
Mais la technocratie qui gouverne ce pays a peur du peuple. Les technocrates ont pris le pouvoir, ce ne sont plus les politiques qui gouvernent, et ça ne date pas de Macron malheureusement.
Pour observer cela, il suffit de constater qu’il existe 350 agences démembrées de l’État, qui échappent au contrôle parlementaire. C’est bien la preuve que nous sommes dans un système qui n’est plus contrôlé…
Dans la moindre collectivité locale, si le maire ou le président de la collectivité ne font pas autorité, ce sont les hauts fonctionnaires qui gouvernent.
Je ne critique pas la nature même de la fonction publique, je dis simplement qu’il faut que l’équilibre soit rétabli entre le rôle et les structures de l’État d’un côté, et le rôle du politique qui est le seul à avoir la légitimité. Je le dis souvent, c’est nous qui avons été élus, pas les fonctionnaires, c’est nous qui avons l’examen de passage tous les cinq ans !
Je crois que l’on touche là le cœur du problème de fonctionnement de notre pays. Nous sommes progressivement entrés dans une forme d’oligarchie technocratique, avec ses relais dans les médias, dans le monde de la culture, du sport…
Cette petite élite vit très confortablement, à Paris, dans des conditions qui n’ont rien à voir avec celles de la vie de 90 % des Français. Au-delà des revenus, certains vivent dans une bulle !
La déconnexion de ces deux mondes est un vrai sujet, et Emmanuel Macron, à son cœur et à son corps défendant, en est l’aboutissement.
N’y a-t-il pas également un problème institutionnel ? Je pense notamment à l’hyperprésidentialisme qui se caractérise par un dysfonctionnement de la diarchie censée caractériser le pouvoir exécutif, ou encore la faiblesse du pouvoir parlementaire ?
Je pense que la Cinquième République avait plutôt un bon équilibre au départ. Mais cet équilibre s’est rompu peu à peu au profit du pouvoir exécutif. Était-ce le dessein secret de Debré, de De Gaulle etc ? Je n’en sais rien.
Sans doute voulaient-ils un pouvoir exécutif fort pour sortir des crises de la Quatrième République, même si je rappelle au passage qu’elle a été aussi une formidable période de croissance, avec de grandes réformes et de grandes avancées à ce moment-là. On a été très injuste avec la Quatrième République. Mais je ferme la parenthèse.
Après, ce qui est clair, c’est que le Parlement a très rapidement perdu du pouvoir face à l’exécutif. Sous Giscard déjà, c’était le cas.
Mais on respectait encore les codes, les règles de l’institution. Être élu député, c’était être élu du peuple, il y avait un respect de l’écharpe et de l’institution.
À cet égard, la fin du cumul des mandats décidée par monsieur Hollande est une erreur majeure car on crée des députés qui sont hors-sol. Ils ne sont plus vraiment représentatifs, et la population ne les considère plus comme tels. Dans ma circonscription, les gens me connaissaient comme maire, tandis que les nouveaux élus n’ont plus ce lien, ils ne sont plus ancrés.
Prenons également la suppression de la réserve parlementaire qui a largement participé à accentuer la déconnexion entre le député et les territoires et ses habitants.
L’empilement de ces petites choses aboutit, in fine, à ce que les politiques, et en particulier les parlementaires, soient bridés. Le gouvernement et l’administration font tout pour refuser la création d’une agence indépendante de l’État qui permettrait au Parlement d’avoir les moyens d’analyse, de recherche, d’audit… ils le refusent ! Donc on a un vrai problème de gouvernance dans notre pays.
Ce vaste programme libéral que vous esquissez a-t-il seulement une chance de remporter une élection en France ? Y a-t-il un plafond de verre ?
Quand vous parlez cash, vous gagnez. Regardez Sarkozy, il a toujours parlé cash et il a toujours assumé avoir une part de libéralisme en lui, et il a gagné ! Il faut assumer ce qu’on est, je suis très fier d’être libéral ! Dans le mot libéral, il y a liberté. Ça me suffit.
Alors, puisque la représentation commune du libéralisme aujourd’hui est très souvent faussée, perçue comme une doctrine essentiellement et d’abord économique, il peut être utile d’ajouter un adjectif. En ce sens, je me définirais comme un libéral-humaniste.
Donc il ne faut pas avoir honte de son libéralisme.
Mais il y a effectivement un travail d’explication, de pédagogie pour contrer les discours caricaturaux du libéralisme.
Il ne faut pas non plus que les libéraux rechignent à faire leur autocritique. Peut-être qu’à l’époque de Madelin, nous avons nous-mêmes participé, par une approche trop idéologue, à la construction de cette caricature qui a donc nui au message que nous portions. Peut-être qu’à cette époque-là, nous avons un peu simplifié le message libéral.
Aujourd’hui, je prône une approche pragmatique, et je refuse de m’enfermer dans une approche trop idéologique qui, à mon sens, nous a nui dans le passé. C’est toujours intéressant, entre nous, de discuter de l’idéologie libérale, mais sa présentation doit être pragmatique et pédagogique si l’on souhaite convaincre, et ainsi avoir une chance d’appliquer nos solutions.
>> Lire l’interview sur Contrepoints.org
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