Michel Barnier : « Il nous faut des députés influents »
L’ex-commissaire européen Michel Barnier détaille les défis auxquels doit faire face l’UE.
De passage il y a peu en Anjou à l’occasion du tournage d’un documentaire qu’Arte consacre à l’après-Brexit, l’ancien ministre et commissaire européen Michel Barnier (Les Républicains) livre un plaidoyer en faveur d’une coopération européenne renforcée.
Selon Emmanuel Macron dans son discours de La Sorbonne, l’idée de souveraineté s’est « imposée » au niveau européen. À quelques semaines des élections européennes (9 juin), partagez-vous son constat ?
Une Europe puissante c’est la clé pour être respecté. Le président de la République parle souvent de souveraineté… Mais ce mot peut donner le sentiment que l’on efface la souveraineté et l’identité nationales. Les effacer, ce serait donner du carburant aux extrêmes. Le général de Gaulle disait : « Il ne faut pas que l’Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons. » Nous avons des traditions, vingt-quatre langues, une culture, une éducation : il ne faut pas nier tout cela mais au contraire le protéger. Je préfère donc parler d’indépendance, d’autonomie, de liberté européenne. Ceux qui évoquent la patrie n’en ont pas le monopole, d’un autre côté certains ont une vision fédérale de l’Europe. Bernard Guetta, second sur la liste Renaissance, parle même d’une nation européenne. Entre les deux, il existe un chemin : on doit être patriotes et européens, en même temps. C’est pour cette raison que je soutiens la candidature de François-Xavier Bellamy.
La vieille Europe a-t-elle encore sa place sur la scène internationale ?
Quand vous regardez les défis qui sont devant nous, dans le monde tel qu’il vient – le changement climatique, aux portes de l’Union européenne, le conflit entre Israël et le Hamas, la pauvreté en Afrique qui provoque une immigration massive, la superpuissance de certaines entreprises privées américaines et chinoises du numérique et la menace permanente du terrorisme islamiste –, la question qui est posée est : comment défendre nos valeurs, exister, peser, simplement se faire respecter ? Il y a des puissances, des « État-continents » (Chine, États-Unis, Inde, Brésil) qui sont déjà à la table ! Ils n’ont besoin de personne. Nos pays européens ne pèseront à cette table qu’en étant ensemble avec le marché unique comme principal atout.
Commissaire européen et plusieurs fois ministre, vous avez aussi été conseiller spécial pour la politique de défense et de sécurité auprès de la Commission. Que vous inspirent les débats autour de l’Europe de la défense ?
Notre ambition a toujours été que l’Europe soit davantage qu’un marché. C’est déjà un écosystème avec des normes – parfois trop ! – des règles, des standards, des supervisions, des régulations, une juridiction commune. Près de 450 millions de consommateurs, 22 millions d’entreprises : cela fonde notre force. Mais nous avons toujours voulu incarner davantage : une dimension culturelle, une politique étrangère, une défense. Mutualisations, coopérations, capacités communes : c’est cela qui permettra un pilier européen solide. C’est impératif que nous soyons capables d’assurer notre sécurité par nous-mêmes, pour nous-mêmes. Le monde change. Quand Donald Trump parle avec hostilité de l’Europe, nous serions bien inspirés d’être vigilants et de nous réveiller.
Une Union dont certains pourraient vouloir sortir…
Ceux qui plaident pour un repli national mentent aux peuples. Pendant la négociation que j’ai menée avec les Britanniques pour le Brexit, nous avons utilisé une méthode inhabituelle à Bruxelles : la transparence totale. Nous avons tout dit, à tout le monde, sur tous les sujets et en même temps. Il n’y a pas eu de surprise. Peut-être le Brexit a-t-il servi de pédagogie, car globalement l’appartenance à l’Union ne fait plus débat. Maintenant, je crois que certains leaders d’extrême droite et d’extrême gauche restent toujours hostiles à l’Union Européenne. Y compris dans notre pays, même si par opportunisme électoral ils ont mis temporairement leurs idéologies en sourdine. Je n’oublie pas que le soir du Brexit, madame Le Pen a déclaré : « Nous vibrons avec les Britanniques qui ont saisi cette extraordinaire opportunité de se libérer de la servitude européenne. » À aucun moment elle n’a reconnu s’être trompée, pas davantage Monsieur Bardella. Je crois qu’ils pensent toujours la même chose aujourd’hui.
Quelles leçons tirez-vous aujourd’hui de cet événement ?
Le Brexit s’est produit parce que dans beaucoup de régions britanniques, en difficulté, les citoyens ont eu un sentiment d’abandon. Moins de services publics, une immigration incontrôlée, « no future » pour leurs enfants, l’impression de ne pas être protégés par l’Europe des effets négatifs de la mondialisation. C’est un sentiment populaire profond et pas seulement au Royaume-Uni auquel il faut répondre. Sinon, on ne devra alors pas s’étonner si se produisent d’autres Brexit ailleurs. La solution n’est pas d’en appeler à la morale face à des partis extrémistes comme la France Insoumise ou le Rassemblement National mais de comprendre les problèmes des citoyens et de les traiter. Redevenir un territoire de production industrielle et agricole, être moins naïfs dans nos échanges commerciaux, contrôler nos frontières extérieures et maîtriser l’immigration au niveau national et européen. En clair, il ne faut pas confondre le sentiment populaire avec le populisme et démontrer aux citoyens que nous maîtrisons notre destin.
Pour une majorité de Français, c’est d’abord une élection aux enjeux nationaux et l’abstention risque d’être forte. Comment intéresser à l’Europe ?
C’est précisément le rôle d’une campagne électorale. Écouter, dialoguer, comprendre. Et aussi expliquer que certains enjeux qui concernent les Français dans leur vie quotidienne, la sécurité et la défense européenne, le changement climatique, la lutte contre le terrorisme, ne peuvent pas être uniquement traités au niveau national. Au-delà du chef de l’État, nous avons besoin de femmes et d’hommes politiques qui assument d’être européens et qui l’expliquent sans raser les murs et sans tomber dans la démagogie en faisant de Bruxelles le bouc émissaire de tous nos problèmes. Cette campagne, c’est aussi l’occasion de dire pourquoi l’Europe est si complexe. C’est le prix à payer pour être unis, pas uniformes. Depuis soixante ans l’Europe intéresse et inquiète les citoyens. Il faut répondre à cet intérêt et à cette inquiétude. Le débat démocratique doit vivre et la politique décidée par les députés européens à Strasbourg intéresse bien la vie quotidienne des gens.
On a le sentiment d’une campagne nationale alors que les enjeux dépassent le simple cadre français. Tout cela est-il bien lisible ?
L’Europe, ce ne sont pas les autres qui décident pour nous contrairement à ce que disent les partis extrémistes. Nous avons choisi, volontairement et démocratiquement, au Parlement, au Conseil des ministres et avec la commission de ne plus décider tout seul. Nous décidons d’un certain nombre de sujets avec les autres. Mais, la conséquence c’est que la voix de la France doit peser. En particulier, il nous faut des députés influents dans le principal groupe au Parlement européen qui restera le PPE. Seuls les élus de la liste de François-Xavier Bellamy siégeront dans ce parti de centre-droit. Voilà un levier d’influence. Pour autant, dans ce groupe nous ne sommes pas d’accord sur tout et nos élus sont actifs et font entendre leurs voix comme ce fut le cas au congrès de Bucarest. Nous n’étions pas d’accord sur tout lors de notre réunion des 700 délégués en mars à Bucarest. Je pense aussi que nous devrions revenir à des élections de députés européens comme ce fut le cas en 2009. À l’époque, les élus avaient plus de proximité avec les territoires.
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