Jean Leonetti : « Emmanuel Macron ne devrait pas prendre le risque d’abandonner la France à un piège sociétal »
L’ancien député à l’origine des lois de 2005 et de 2016 met en garde contre le risque d’utiliser les lois sociétales « comme marqueur politique ou pour aller dans le sens de l’opinion de l’instant ».
Un modèle français de la fin de vie peut-il émerger du projet de loi voulu par Emmanuel Macron ?
Le projet du gouvernement est connu depuis longtemps. Il s’agit de légaliser le droit au suicide assisté tel qu’il est autorisé dans l’État de l’Oregon aux États-Unis. Ce n’est donc pas un modèle français, même assorti d’un changement de dénomination et quelques aménagements. Les jeux sont-ils faits pour autant? C’est au Parlement d’en décider et à chaque citoyen de s’interroger et de s’exprimer.
Après vos interventions au Parlement, comme celle de mercredi devant le groupe d’études sur la fin de vie à l’Assemblée, comment anticipez-vous le débat parlementaire à venir ?
J’ai répondu à toutes les sollicitations des instances et groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Après mon échange du jour avec Olivier Falorni et Jean-Louis Touraine, j’ai acquis la conviction que le débat reste ouvert et que, comme c’est heureusement le cas dans ce domaine, chacun se déterminera en fonction de ses convictions personnelles.
Pourquoi estimez-vous que le président de la République tomberait dans un « piège sociétal » s’il devait défendre une loi inspirée américain, adopté pour la première fois en 1997 par l’État de l’Oregon ?
Le piège des lois sociétales, c’est de les banaliser alors qu’elles sont le reflet des choix culturels et même civilisationnels d’une société. Il est aussi dangereux de les utiliser comme marqueur politique ou pour aller dans le sens de l’opinion de l’instant au nom d’une modernité. Enfin, il ne faut pas, sur ces sujets sensibles et complexes, diviser les Français. Emmanuel Macron ne devrait pas prendre le risque d’abandonner la France à un tel piège.
Trois conditions sont avancées dans ce projet d’aide active à mourir porté par la nouvelle ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo : les patients doivent être majeurs, leur maladie incurable et leur pronostic vital engagé. Pourquoi jugez-vous ce cadre insuffisant ?
Il s’agit de donner la mort et au lieu de se poser la question du « pourquoi », on veut se rassurer avec les « comment » grâce à des mesures limitatives destinées à atténuer la violence de cette transgression majeure. De plus, on sait que, souvent, les cadres réglementaires ont vocation à s’élargir sous l’effet de nouvelles revendications. En politique, les portes entrouvertes finissent toujours par être grandes ouvertes.
Pour humaniser la fin de vie, certains, comme le professeur Mattéi, défendent le principe d’une concertation pluridisciplinaire entre les médecins et un juge de protection des personnes. Soutenez-vous cette idée ?
Il n’est pas illogique de penser qu’une telle décision soit prise par un juge au nom du peuple français plutôt que par un médecin car la main qui soigne ne peut pas être la main qui tue. Mais l’idée d’exclure les soignants de cette responsabilité est faussement rassurante, ils seront inévitablement impliqués directement ou indirectement dans ces décisions. Sinon pourquoi envisagerait-on dans le texte une « clause de conscience » ?
Que répondez-vous aux partisans de l’aide active à mourir quand ils dénoncent l’hypocrisie du cadre juridique français contourné par ceux qui choisissent d’aller mourir dans certains pays voisins ?
Je me permets de répondre par une question préliminaire : faut-il aligner la position française sur le « moins-disant éthique » et le considérer comme un progrès ? Le choix de faire appel à des « mères porteuses » est autorisé dans certains pays européens et des Français y ont recours. Va-t-on pour autant légaliser cette pratique ? J’ai signé, au nom de la France en 2011, la convention internationale d’Oviedo qui fixe les grandes règles éthiques. Elle laisse cependant une large marge d’appréciation aux 35 nations cosignataires. Les positions de la France dans le domaine éthique sont observées, respectées et quelquefois inspirantes pour d’autres pays. Il faut avoir conscience decette responsabilité.
Pourquoi la France envisage-t-elle de légiférer aujourd’hui sur une telle question éthique avant même d’avoir pu développer un réseau solide d’unités de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire ?
La nécessité de développer les soins palliatifs est le seul élément consensuel de ce débat. Il est évidemment le préalable à toute loi sur le sujet. Plus de 20 départements français sont dépourvus d’unité de soins palliatifs. Or, personne ne conteste que dans ces structures, la prise en charge médicale et humaine diminue très significativement les demandes de mort, preuve que le modèle français fonctionne quand on lui en donne les moyens. Compte tenu de la situation de nos hôpitaux et des difficultés de recrutement et de financement, le gouvernement pourrait s’emparer du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour faire bouger les choses. Mais une loi immédiate d’aide active à mourir créerait une inégalité de nos concitoyens face à la mort et serait une loi qui s’appliquerait par défaut.
« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément » disent les médecins hostiles à l’euthanasie en citant cette phrase du serment d’Hippocrate qui est la référence déontologique occidentale de leur profession. Pourquoi les règles et les devoirs de la médecine devraient-ils être immuables ?
Les lois et les mœurs varient en fonction des pays, des cultures et des époques. Mais au-delà même d’un serment médical, n’y a-t-il pas à s’interroger sur la seule question philosophique et politique qui vaille : « Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? » L’éthique est un conflit de valeurs entre la nécessaire protection de la vulnérabilité par le collectif et le respect de l’autonomie de l’individu. Pour ma part, s’il faut faire pencher la balance de cet équilibre dans une société où les égoïsmes et les individualismes se développent, je choisirai la fraternité à la liberté pour que jamais personne ne se sente indigne, ne se sente de trop.
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