François-Xavier Bellamy : « Avec le macronisme, la France se dissout dans l’Europe »
Partisan assumé du clivage gauche-droite mais convaincu que la droite doit s’adresser à tous les Français, François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains, se représente aux élections européennes avec une combativité intacte et la certitude que les électeurs sauront éviter les pièges de la division ou de l’inefficacité.
Qu’est-ce qui change, cette année, pour vous, par rapport à la précédente candidature ? Est-ce que vous souffrez d’une absence « d’effet nouveauté » ?
J’ai beaucoup appris et je viens à cette élection avec plus d’expérience, une connaissance plus intérieure des sujets et du combat politique. La réalité de la crise que traverse le pays est aussi plus perceptible. Les illusions du macronisme sont très largement dissipées. En 2019, beaucoup de Français pouvaient peut-être encore croire qu’Emmanuel Macron était le nouveau monde qui allait réussir à sortir la France de l’ornière. Aujourd’hui, on voit qu’il n’aura été que le pire de l’ancien monde, et que l’alternative dont le pays a besoin est encore à construire.
Dans quel état avez-vous retrouvé la politique, les médias et le débat public, cinq ans plus tard ?
J’espère ne pas avoir perdu l’inspiration qui m’avait conduit à cet engagement et j’assume de croire, même si cela peut paraître idéaliste, que les idées, les convictions et la constance d’un engagement doivent continuer de conduire une action politique. Nous en avons besoin, aujourd’hui, car il y a beaucoup de faux-semblants à faire tomber. En 2019, par la décision d’Emmanuel Macron, l’élection européenne était nationale. Nous étions tous des primo-candidats, Emmanuel Macron n’avait pas de délégation au Parlement européen. Maintenant, chacun se présente avec cinq ans d’expérience, avec un bilan à faire valoir. Nous allons parler de notre projet bien sûr mais depuis le début de la campagne, dans les débats, nous avons surtout eu l’occasion de mettre sur la table ce que chacun a fait dans les votes passés. Quand j’entends Valérie Hayer faire une déclaration d’amour au nucléaire après avoir voté contre pendant tout le mandat ! La communication semble l’emporter sur tout ; mais il faut résister à cette dérive par la réalité des faits. Il faut que chacun assume ses responsabilités. Je pense qu’il y a encore des électeurs dans ce pays qui sont convaincus que la politique, ce n’est pas seulement des paroles, mais l’exigence de tenir parole.
On dit parfois que voter Bellamy c’est voter pour des convictions plus que pour la gagne. N’êtes-vous pas un peu seul dans cette lutte au sein des LR ?
Bien sûr que non ! Le seul sondage qui compte, ce sera l’élection. Je me sens plus confiant que bien des contradicteurs. Je regrette par exemple que Jordan Bardella ait refusé le débat que vous nous proposiez ; j’aurais été très heureux d’avoir cet échange. Je pense que c’est assez significatif. On peut considérer que c’est une stratégie, moi j’appelle cela une fuite ; je trouve désolant, lorsque l’on est devant un rendez-vous démocratique, de ne pas assumer le risque de la discussion contradictoire. Pour le reste, c’est peut-être désuet, mais je crois à la nécessité de la constance et de la cohérence. Il arrive que des gens reprochent aux Républicains d’avoir pu être, parfois, inconstants ou contradictoires. Or, j’observe que la ligne que nous défendons est plus cohérente que celle de nos contradicteurs. Je me souviens, par exemple, du RN expliquant, il y a cinq ans, qu’il fallait sortir de l’UE, de l’euro, de l’Otan, et que c’était même la première mesure pour retrouver une politique libre en France. Sans parler de ses critiques de Frontex, quand Monsieur Leggeri en était le directeur… Je veux bien que tout n’ait pas été parfait dans le passé, à droite, mais je ne vais pas me faire donner des leçons de cohérence par des gens qui n’ont pas arrêté de changer de discours en fonction des circonstances.
La droite dite « nationale » vous le fait ressentir ?
Il m’arrive de croiser des gens qui me reprochent des décisions prises pendant les mandats de Jacques Chirac. C’est tout-à-fait légitime. Je ne dis pas que j’approuve tout ce qui s’est fait dans le passé, mais quand Jacques Chirac était au pouvoir, j’étais au lycée. L’urgence n’est pas de rappeler en permanence les déceptions du passé, mais de sauver l’avenir. Je ne crois pas que la première mission de notre génération soit un perpétuel devoir d’inventaire. Mon but, c’est de faire en sorte que le pays puisse se relever et je crois qu’on n’y parviendra pas si on abandonne le parti politique qui a pour mission historique de représenter dans ce pays les électeurs de droite. Certes, il a pu décevoir, manquer à sa responsabilité, donner le sentiment qu’il n’était pas au rendez-vous de ses engagements ; mais raison de plus pour y retourner, pour s’y engager, parce que c’est en réussissant à reconstruire une droite crédible, solide, fidèle, qu’on pourra relever le pays tout entier. Il y a certainement des nuances idéologiques dans le parti, mais quand LR a besoin de choisir un candidat pour être tête de liste, c’est moi qu’il choisit. J’ai été le chef de la délégation de ce parti au Parlement européen, cinq ans durant. La seule question qui vaille, c’est : qu’avons-nous à dire au pays ? Les élus qui sont restés chez LR auraient pu eux aussi changer de discours et de camp poursuivre les vents sondagiers ; ils sont restés fidèles et personne ne peut leur retirer cela, parce qu’ils savent où il faut être pour agir.
Comprenez-vous ceux qui se disent insupportés par la politique d’Ursula von der Leyen ? Êtes-vous à votre place au PPE ?
C’est une question essentielle. Pour y répondre, il est primordial d’expliquer ce qu’est le travail au Parlement européen. En Europe, le clivage politique oppose la gauche et la droite : les deux plus grands groupes sont les socio-démocrates et le PPE. À cela, il faut ajouter le clivage entre pays européens : aucun député français n’est d’accord sur tout avec son groupe politique. Si Marion Maréchal, demain, rejoint le groupe ECR, elle aura des désaccords majeurs avec son groupe, par exemple sur les questions de libre-échange, de défense ou de géopolitique. Jordan Bardella, au groupe I.D [Identité et Démocratie], n’est pas d’accord avec tous ses partenaires. La Lega et l’AfD votent massivement en faveur des accords de libre-échange par exemple, ce qui n’est pas dans le corpus du RN. Le vrai sujet pour moi, c’est d’assumer d’être un combattant. D’assumer les bras de fer. Le miracle de l’Europe, ce n’est pas d’effacer les divergences, mais de les régler par des débats parfois rudes, plutôt qu’en s’affrontant avec des armes dans des tranchées. La politique, ça ne consiste pas à se plaindre depuis sa chaise que les choses ne vont pas dans le bon sens, mais à batailler de l’intérieur pour que les lignes bougent, et que l’on arrive à donner à la France la voix dont elle a besoin pour faire entendre ses priorités en Europe.
Ursula von der Leyen est la candidate installée par Macron.
En effet, Ursula von der Leyen n’était pas la candidate du PPE en 2019 et a été installée par Emmanuel Macron. Je comprends que nos amis allemands préfèrent que l’Allemagne garde la présidence de la Commission européenne. Mais nous ne voulons pas de sa reconduction et je l’ai montré dès le début. Le PPE aura été dans l’opposition sur bien des textes fondamentaux au cours de ce mandat, sur les questions environnementales, notamment. Tout le PPE s’est, par exemple, opposé au texte « Restauration de la nature », une vision totalement idéologique de l’environnement, mais aussi sur les questions migratoires. Nous tirons les conséquences de cette opposition en disant qu’il faut une alternance à la tête de la Commission européenne.
Vous le lui avez dit ?
J’avais dit à Ursula von der Leyen, les yeux dans les yeux, que je ne la soutiendrai pas. À l’époque, un collègue m’avait répondu qu’il avait trouvé ma sortie courageuse et que beaucoup pensaient comme moi, mais n’osaient pas le dire. Depuis, nous avons largement réuni autour de nous : au congrès de Bucarest, qui réunissait tout le PPE, Ursula von der Leyen, sans avoir de candidat face à elle, n’a recueilli que 400 voix sur les 801 délégués présents pour voter. Beaucoup de forces politiques en France la critiquent, mais les
seuls qui agissent vraiment pour obtenir ce changement de cap, c’est nous.
Souverainistes-libéraux, progressistes-populistes, gauche-droite : existe-t-il un « bon » clivage pour analyser l’UE ?
La France a un débat politique un peu désynchronisé de la vie européenne. Il y a dix ans, en Europe, le débat, c’était « populistes contre progressistes » ; Renzi contre Salvini en Italie, Podemos contre Ciudadanos, en Espagne. Mais tout cela a disparu. Le vrai clivage qui revient partout en Europe, c’est celui entre la gauche et la droite. On voit bien à quel point le vrai débat, celui qui oppose notre groupe à celui des socialistes, va structurer dans le mandat qui vient, plus encore qu’hier, le travail au Parlement européen. C’est vraiment là que va se jouer la décision politique.
LR peut-il avoir cette image de défenseurs de la souveraineté française ? Séguin-Pasqua, ça paraît loin, ou c’est récupéré par un autre parti…
J’ai bataillé pendant cinq ans pour faire entendre la voix des Français en Europe. Regardons la réalité du débat : plus aucun parti politique de premier plan ne demande le Frexit. Il est acté que la France est en Europe. La question est donc la suivante : que fait-on pour y obtenir le cap dont nous avons besoin ? Il existe un sujet majeur sur le respect de la souveraineté de nos pays. Moi, je n’ai jamais cru à une Europe qui se renforcerait en fragilisant les États qui la constituent. Je crois l’exact inverse. Je pense
que le seul chemin pour l’Europe, si elle veut retrouver la confiance des citoyens, c’est de montrer qu’elle peut rendre nos pays plus souverains, les appuyer pour qu’ils retrouvent la maîtrise de leur destin. C’est la ligne que j’ai constamment défendue, contre les élus macronistes et socialistes.
C’est quoi, le macronisme, au Parlement ?
Au Parlement européen, les macronistes ont voté pour le rapport Verhofstadt, ce qui est, je crois, un acte gravissime de la part d’un parti au pouvoir en France : cela consistait à voter contre l’esprit et la lettre de la Constitution de la Ve République. Pour supprimer le droit de veto, par exemple, confier à l’Union européenne de nouvelles compétences ; pour donner à Bruxelles le pouvoir de créer de nouveaux emprunts, et des impôts européens sans même l’accord de nos États. On pourrait multiplier les exemples comme cela ; avec le macronisme, la France se dissout dans l’Europe. C’est ce que Raymond Aron appelait le « fédéralisme clandestin ». Ils auront réussi à faire avancer l’intégration européenne sans l’aval des Français. Je pense notamment au grand emprunt européen auquel je me suis opposé, qui permet de donner à la Commission européenne un pouvoir de contrôle renforcé sur nos budgets nationaux. Je crois évidemment que cela n’est pas du tout le sens d’un vrai progrès en Europe.
Que pensez-vous de la campagne de Raphaël Glucksmann ? La gauche semble reprendre du poil de la bête…
Je n’ai pas de problème avec la diversité des opinions. En France, il y a deux gauches. L’une d’elle s’assume (celle de Raphaël Glucksmann), l’autre non (c’est Macron). En termes d’idées, c’est quasiment la même chose : ils sont alignés sur tout. D’ailleurs, ils ont le même bilan. Ils ont voté ensemble contre le nucléaire, pour la décroissance agricole, pour le 100% véhicule électrique. On pourrait, là aussi, multiplier les exemples. J’ai passé cinq ans à répéter que le macronisme, c’est la politique de la gauche au Parlement européen.
Valérie Hayer, c’est Glucksmann au féminin ?
Il suffit de l’écouter : Valérie Hayer assume à 90% de voter avec les socialistes ! C’est cohérent avec la politique nationale : après sept ans de pouvoir d’Emmanuel Macron, nous enregistrons 3000 milliards de dettes et un dérapage budgétaire qui sidère l’Europe entière ; ce à quoi le Président répond que le problème n’est pas une dépense publique excessive, mais des recettes insuffisantes ! À cela s’ajoutent un million d’immigrants entrés en France sur les deux dernières années et une école qui s’effondre. Je ne vois pas comment on pourrait avoir un bilan plus à gauche. Je pense que, pour tous les électeurs de droite, c’est le moment d’ouvrir les yeux. Si vous avez cru un jour en Emmanuel Macron, il est temps de regarder ce qu’il a fait de votre voix…
Le RN, et notamment Jordan Bardella, sont-ils intouchables? Tout semble glisser sur eux comme sur lui…
C’est difficile de faire quelque chose d’utile d’une élection qu’on gagne sur des silences, des ambiguïtés et des incohérences. Le RN fait rêver les Français en disant « vivement le 9 juin ». Moi, je me demande pourquoi ils n’ont pas commencé plus tôt ! Ils ont déjà gagné la dernière élection européenne. Je croise partout dans le pays des gens qui disent: « On a essayé la droite, on a essayé la gauche, on a essayé le milieu, tout le monde nous a déçus, mais eux, on ne les a pas essayés ». Pour les élections européennes pourtant, la France les a déjà essayés, deux fois même : vous leur avez donné le plus grand nombre de députés en 2019, et déjà en 2014. Qu’est-ce que cela a changé pour le pays ? En Europe, les macronistes font la politique de la gauche et le RN la politique de la chaise vide. Et après on s’étonne que cela n’aille pas dans la bonne direction ! C’est la grande fragilité de la France en Europe. Les combats qui attendent les électeurs de droite, c’est nous qui les avons menés, seuls. C’est pour cela que le bilan me paraît important ; avec 8 élus, nous avons gagné des batailles décisives. Avec 23 parlementaires, le RN ne fait même pas semblant d’avoir mené un seul combat. Je voudrais dire aux Français, à la veille de cette élection : ne vous contentez pas d’écouter les promesses. Regardez qui a fait quoi pendant cinq ans. C’est aussi aux résultats qu’on peut juger la qualité d’une proposition politique.
Et la fameuse « union des droites » ?
J’ai du mal à comprendre des gens qui parlent d’union des droites et qui, en réalité, ne font qu’ajouter des divisions supplémentaires. Au point que, par ailleurs, si j’en crois ce que raconte la presse, ils ont déjà du mal à s’unir eux-mêmes. Au Parlement européen, des quatre parlementaires qui avaient suivi Éric Zemmour à l’élection européenne, trois l’ont quitté, et pas pour de petites raisons. Il est difficile d’employer le terme d’union lorsque l’on est devenu l’activiste de la division. Marion Maréchal est rentrée dans cette campagne en expliquant, lors de son premier meeting, que son but était de tuer LR. Chacun ses priorités. Moi, mon adversaire, c’est la gauche. C’est la gauche macronienne qui a fragilisé le pays. C’est l’alliance des socialistes et d’Emmanuel Macron qui fait que la France est dans la situation où elle est. Je n’ai jamais varié dans mes convictions ni dans ma stratégie. Je me reconnais dans la droite parce qu’il y a, je l’ai dit, un clivage fondamental entre la gauche et la droite. Et je crois qu’on ne réunira tous les électeurs de droite qu’en reconstruisant le parti qui a pour fonction historique de les représenter. C’est le sillon que je trace avec persévérance.
Cela a une incidence profonde sur le Parlement européen, en ce qui concerne les groupes, le nombre de sièges et donc la capacité à décider.
Prenezle PPE : il va devenir la première force politique en Europe. En 2019, 7 capitales étaient dirigées par le PPE. Aujourd’hui, c’est 15 sur 27 pays. Et vous allez laisser cette force à d’autres, au motif que vous n’avez pas approuvé tout ce qu’a fait la droite en Europe ? Vous allez l’abandonner à ceux qui ne pensent pas comme vous ? C’est absurde. Au contraire : retournons y plus nombreux, pour convaincre et pour reconstruire. Vous cherchez un parti politique où vous serez d’accord sur tout et avec tout le monde ? Vous ne le trouverez jamais. Il y a des gens pour qui j’ai beaucoup de respect dans d’autres camps politiques, mais aussi des gens qui me paraissent peu estimables. Je n’accepterai pas de recevoir des leçons de morale venant de partis qui mettent en première ligne des professionnels de la trahison, du mensonge et du reniement. Des électeurs de Reconquête ! me disent qu’ils n’apprécient pas tout le monde chez LR. Parce qu’ils apprécient tout le monde chez Reconquête ? Monsieur Peltier, en 2019, m’attaquait sur les plateaux de télévision en disant que j’étais « l’incarnation du communautarisme catholique », lequel était, ajoutait-il, aussi dangereux pour le pays que le communautarisme islamique. J’avais d’ailleurs été défendu par Éric Zemmour, alors journaliste au Figaro, qui avait décrit Monsieur Peltier comme un « traître de comédie ». Si vous comptez voter pour des gens que vous respectez, je conseille aux électeurs de Reconquête ! de regarder d’un peu plus près qui ils s’apprêtent à faire élire. De mon côté, je suis fier d’emmener une liste de candidats qui ont en commun de n’avoir jamais trahi.
Vous ne croyez donc pas au retour des « trois droites » théorisées à l’époque par René Rémond ?
Il existe un parti de droite. Oui, il y a des nuances, des sensibilités. Mais cela n’empêche pas de se retrouver sur des enjeux fondamentaux. La vocation de ce parti de droite, c’est de réunir demain tous les électeurs de ce pays pour leur rendre une majorité. La tentation est grande de passer de René Rémond à la fragmentation politique actuelle, mais cela supposerait, par exemple, d’admettre que le RN est de droite. Or il revendique ne pas l’être… Quand je vois que le RN vote contre la proposition de LR de conditionner le
RSA à 15 heures d’activité par semaine, ou que, dans une grève récente de la SNCF à la veille des vacances scolaires pour obtenir une énième prime, Marine Le Pen prend le parti de Sud Rail qui bloque la France entière…
Ce même RN qui rejoint l’électorat de gauche à travers les sujets anthropologiques (IVG, euthanasie). Là-dessus, on constate que le parti mariniste est en phase avec le progressisme…
L’économie n’est pas un petit sujet parce que c’est aussi une vision de la société. Derrière le débat du RSA, il y a toute une vision du travail, de sa valeur, de sa dignité. Ce sont aussi des enjeux anthropologiques, pas seulement des questions d’organisation technique. Sur les sujets dits « de société », effectivement, le pays tout entier est aussi traversé par ces fractures. Sur la réforme de la Constitution, le RN avait exigé un vote favorable de ses députés. La droite, au moins, a laissé la liberté de conscience aux élus. À l’Assemblée, il y a eu plus d’élus LR qui ont voté contre cette réforme que d’élus RN, alors que nous sommes moins nombreux.
Sur la question de la fin de vie, là aussi, il faut revenir à l’histoire. La droite est la famille politique qui a porté la loi Leonetti, qui reste – pour répondre au président de la République – un vrai modèle français de la fin de vie. Le grand drame, c’est qu’aujourd’hui cette loi n’est pas appliquée : 500 personnes, tous les jours, auraient besoin de soins palliatifs et n’y ont pas accès, faute de moyens, de places, de soignants. On voit bien à quel point cette réforme arrive de manière purement politicienne. Emmanuel Macron a même fait changer l’agenda de l’Assemblée pour que le texte soit voté trois jours avant les élections européennes. Ils instrumentalisent jusqu’à la mort pour jouer sur les fractures du pays. C’est vraiment désolant. Rappelons que la loi Leonetti avait été votée à l’unanimité du Parlement : il y a eu une période où l’on abordait ces questions non pour créer de la division mais pour chercher des solutions qui puissent réunir le pays, autour de la cause commune qu’est la dignité absolue de la personne humaine.
Le total cumulé – RN, Reconquête !, LR – avoisine les 50%. Est-ce que c’est une donnée qui paraît significative ou est-ce un rassemblement artificiel ? Est-ce que cela dit quelque chose de l’état du pays ?
Globalement, cela dit que la France n’est pas socialiste, et qu’elle l’est même moins que jamais. Il reste, toutefois, des ambiguïtés, au RN notamment, avec des choix politiques faits pour complaire à son électorat. Un des poumons électoraux du Rassemblement national, ce sont les anciens bastions communistes. On voit que Marine Le Pen ne veut pas sortir de cette logique, quand elle refuse, par exemple, de réformer l’assurance chômage, qui fait que vous avez aujourd’hui, avec 5 millions de chômeurs dans ce pays, des entreprises
qui partout n’arrivent pas à recruter. Ce faisant, en refusant de sortir de cette impasse qui est aujourd’hui le premier frein pour l’activité économique en France, le RN alimente la crise migratoire. Pourquoi nous fait-on croire qu’il faudrait une main d’œuvre étrangère pour prendre les emplois non pourvus ? Notre modèle social est devenu un modèle antisocial, qui décourage le travail. L’État impose des charges considérables à ceux qui bossent, pendant que ceux qui ne travaillent pas ont droit à toutes les sécurités. Je ne peux pas en vouloir aux Français : quand ça coûte plus cher de reprendre un travail que de rester inactif, c’est difficile de faire le bon choix. Mais c’est le système qu’il faut réformer. Et en refusant de s’y attaquer, je le redis, le RN, en fait, alimente directement la crise migratoire.
Le souvenir de la débâcle de François Fillon, en 2017, est-il toujours présent au sein de la droite ? Qu’en avez-vous pensé, avec le recul ?
C’est sans doute la dernière fois qu’un candidat a fait campagne en disant aux Français la vérité de l’état du pays. Je ne crois pas qu’on soit condamné à la démagogie pour réunir les Français. On peut parler à leur raison, à leur sens du bien commun, à leur expérience quotidienne aussi. Les médias avaient reproché à la droite, en 2017, de promettre du sang et des larmes. Or, le sang et les larmes, c’est ce que vivent les Français maintenant. On n’a jamais eu une dépense publique aussi importante, jamais eu un endettement aussi inquiétant. Et simultanément, aucun service public ne fonctionne correctement. L’hôpital est dans une situation de crise absolue. L’école, n’en parlons pas ; j’ai eu l’occasion comme professeur de parler de la faillite éducative du pays dans vos colonnes depuis bien longtemps maintenant. La police, la justice n’arrivent plus à assurer la sécurité du pays et l’application de la loi. On voit bien que c’est maintenir cette situation d’hypertrophie de la dépense et d’absence totale de résultat qui est en réalité le choix antisocial par excellence.
Les patrons et les chefs d’entreprises votent de plus en plus pour le RN. Comment expliquez-vous ce basculement ?
On verra comment les choses vont se décanter d’ici à l’élection. Je pense qu’il y a un ras-le-bol général et qu’aujourd’hui Jordan Bardella ne dit rien pour être la surface de projection d’un vote anti-Macron. J’entends beaucoup de Français me dire : « on n’en peut plus de Macron, on va voter Bardella. On veut que les choses changent enfin ». Je leur redis : aux Européennes, la victoire du RN, ce sera une nouvelle fois la victoire du statu quo. Et d’ailleurs Emmanuel Macron le sait bien… Le camp qu’il a cherché à faire disparaître avec détermination au cours des dernières années, ce n’est pas le RN, mais la droite. C’est LR qu’il a tenté de dépecer par tous les moyens possibles, en détruisant nos succès, en cherchant partout à créer de la confusion. En vérité, la vraie nouvelle que redoute Emmanuel Macron le 9 juin prochain, ce n’est pas que le RN arrive devant mais que nous relevions la tête.
Vouloir faire revenir l’électorat de droite parti chez Macron, rétrospectivement, était-ce une bonne stratégie ?
On va faire revenir les électeurs de droite d’où qu’ils viennent, y compris des Français qui n’ont jamais voté à droite et peuvent se reconnaître dans ce qu’on voudrait proposer pour l’avenir. Ce qui est sûr, c’est qu’au bout de sept ans, ceux qui ont pu croire au macronisme se retrouvent devant la réalité du bilan, et la vérité des prix. Je me répète mais quand Emmanuel Macron dit, après l’annonce d’un dérapage budgétaire de 20 milliards supérieur aux prévisions du gouvernement lui-même : « On n’a pas un problème de dépenses excessives mais un problème de recettes insuffisantes », les électeurs de droite peuvent comprendre ce qui est en train de se jouer.
Le Président n’a aucune intention de faire baisser la dépense publique, de sortir de la situation de faillite qui piège notre État. On parle un jour de taxer les rentes, ou d’inventer de nouveaux impôts (tout récemment une taxe qui surgit sur les livres d’occasion). C’est le florilège fiscal continu. C’est d’ailleurs le même cas sur le plan européen. Rappelons, tout de même, que Valérie Hayer, sa tête de liste, a déposé un rapport au Parlement européen pour la création de « ressources propres », c’est-à-dire d’un catalogue d’impôts européens qui viendraient demain s’ajouter à la fiscalité nationale. On nous a fait croire que quand on était de droite, on pouvait voter pour un type qui venait de la gauche, mais qui disait parfois des choses agréables à entendre. Cela ne marche pas.
En fait, le seul moyen pour la droite de revenir au pouvoir ce serait de réconcilier l’électorat bourgeois, libéral, avec l’électorat social ?
Un des grands drames de la vie politique du pays c’est que la démocratie s’est réduite à de la sociologie. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans le monde d’avant Macron il y avait des patrons de gauche et des prolétaires de droite. Des ouvriers réacs et une gauche caviar. Je pense que le grand drame aujourd’hui, c’est qu’on ne parle plus qu’à des clientèles. Je ne m’y résigne pas. Prenons un exemple tout simple : je suis prof du public de formation. Or, je ne vois pas pourquoi des professeurs, qui sont considérés comme une catégorie sociale acquise à la gauche ne voteraient pas à droite aujourd’hui. Je suis convaincu que la droite doit parler à tous les Français. Je ne me suis jamais reconnu dans l’idée qu’il fallait ne parler qu’à « notre électorat ».
Je pense que l’économie, cela compte, et que ce serait une erreur de croire, comme le dit Jordan Bardella, que c’est un sujet mineur, secondaire, ou purement technique. Cela fait aussi partie de l’anthropologie, de la vision politique. Mais il est vrai que la droite a commis l’erreur, pendant longtemps, de croire que la politique pouvait se réduire à l’économie. Ce faisant, elle a fini par apparaître comme étant le syndicat de défense des plus aisés. Là n’est pas sa vocation.
Macron est le recordman de la dette publique. Comment expliquer une telle débâcle ?
La crise économique que traverse le pays, aujourd’hui, est l’une des expressions de notre crise intérieure, d’une crise politique profonde, et même d’une crise spirituelle. Parce que cette crise économique est aussi le résultat d’un certain rapport au travail. C’est un chiffre, c’est une statistique, mais qui dit quelque chose de grave : un Français travaille 630 heures par an en moyenne. Nous sommes les avant-derniers de l’OCDE. Il n’y a que la Turquie qui fait moins ! La moyenne européenne, c’est 805 heures. Ce n’est pas seulement un problème matériel, c’est aussi un problème moral. Le rapport au travail est profondément fragilisé dans ce pays, aussi parce que, sans doute, le monde du travail doit se reprendre. Nous avons un problème global de relation au sens, à la valeur, à la dignité du travail. Et bien sûr à la rémunération du travail aussi, et tout cela ne fait qu’un.
Je rebondis sur ce que vous avez dit plus haut ; est-ce que le professorat vous manque, parfois ?
J’ai la chance d’avoir gardé un pied dans mon métier avec les Soirées de la philo. Je n’ai plus d’élèves à proprement parler bien sûr, mais malgré tout c’est une vraie respiration de pouvoir retrouver la philosophie tous les quinze jours avec les centaines de personnes qui viennent suivre ces conférences au théâtre Édouard VII. Je me sens très privilégié de vivre cette aventure.
Les épisodes d’ultraviolence qu’on a vécus récemment sont-ils d’abord liés à une crise de l’école ou est-ce que l’école n’est, dans cette affaire-là, que le reflet d’une évolution de la société qui la dépasse largement ?
La crise de l’école est la crise de la société. Comme l’écrivait Péguy, dans La rentrée (1904) : « il n’y a pas de crise de l’enseignement car les crises de l’enseignement sont des crises de la vie. Elles sont des crises de la vie générale elles-mêmes. Quand une société ne sait pas enseigner, c’est qu’elle ne sait pas s’enseigner. Qu’elle a honte d’elle-même. » C’est effectivement le reflet de la crise de l’école, mais aussi le reflet de la crise de la société, puisque c’est la même crise. Ce n’est pas nouveau, en réalité. Quinze jours après ma première rentrée, en septembre 2009, un gamin a été tué devant la porte du lycée à coups de tournevis. C’était le début des Déshérités. J’avais commencé ce livre en racontant cette histoire. Cette crise dure depuis des années, elle a seulement été étouffée pendant très longtemps par le « pas de vagues » de l’Éducation nationale. La situation a même empiré car s’y est ajoutée une autre dimension qui a pris le pas d’une manière beaucoup plus affirmée : la pression d’un islamisme qui s’impose par la violence dans des quartiers entiers.
Vous avez dit que nous vivions une « guerre civile à bas bruit ».
Il faut nommer ce qui arrive. Le propre d’une guerre civile, c’est que, contrairement à une guerre entre deux États, il n’y a pas quelqu’un qui la déclare. On ne sait pas nécessairement que l’on vit une guerre civile ; on peut ne le voir qu’après coup. Les guerres de religion n’ont été nommées ainsi que bien après avoir été terminées. Sur le coup, ce que l’on vit, ce sont des massacres sporadiques, des violences, des destructions, des conflits d’une grande brutalité, mais qu’on a du mal à appeler guerre si on ne relie pas les points. C’est ce qui est entrain de se passer.
Peut-on sortir de cela ?
Oui. Le vrai problème en réalité, c’est que le « camp du déni » n’est pas innocent. Il ne ferme pas les yeux pour rien. Quand j’ai déposé un amendement pour interdire à la Commission européenne de financer ces publicités qui disaient : « la liberté dans le hijab », on a vu la gauche se lever. Les verts. L’extrême-gauche. Une partie du groupe d’Emmanuel Macron. Non pas pour s’opposer au texte, mais pour empêcher qu’il soit mis aux voix. Ce débat a démasqué des compromissions avec l’islamisme, qui sont d’abord des compromissions clientélistes. La gauche est en train de se renier. D’ailleurs, il est fascinant devoir que lorsque Mila vient sur BFM TV pour parler de la police des moeurs qui
s’abat sur les collégiennes, c’est la droite qui la défend. La gauche, elle, se tait. Le camp macroniste a adopté la même stratégie. Il suffit de se souvenir d’Emmanuel Macron qui, dans l’entre deux tours de la présidentielle, se découvrait des valeurs communes avec Jean-Luc Mélenchon ou faisait d’une jeune fille voilée un « modèle de féminisme ».
Est-ce que l’islam est compatible avec la République ? Avec la France ?
J’ai un parti pris très clair sur cette question. Je fais de la politique, et je suis un député Français. Comme responsable politique, mon rôle n’est pas de dire ce que l’islam est ou devrait être. Mon rôle, c’est de dire ce qu’est la France. Ce qu’elle doit être. Ce qu’elle ne négociera jamais. Ensuite libre à chacun de considérer que la France est, ou non, compatible avec la vie qu’il souhaite mener, et d’en tirer les conséquences. Là est le point décisif. Si je devais répondre à cette question, je dirais d’une manière très claire qu’au cœur de l’identité de la France, comme de l’Europe, il y a la liberté de conscience. C’est la raison pour laquelle il est possible d’être musulman en France ; force est de constater qu’il est rare de pouvoir être chrétien dans un pays musulman. C’est là ce qui nous distingue : nous sommes Français, et nous n’avons pas le droit de renoncer à la cause de la liberté de conscience. Mais défendre la liberté de conscience implique de se donner les moyens, y compris juridiques, de poursuivre quiconque la menacerait, au nom de l’islam, sur le sol de notre pays. Sur cela nous ne devrons jamais négocier.
Les premières victimes sont souvent musulmans eux-mêmes…
Ce qui me marque, c’est de voir à quel point dans les meurtres, dans les morts de ces derniers jours, beaucoup de victimes sont musulmanes ou issues de l’immigration. C’est Samara, à qui sa communauté reproche de s’habiller « à l’européenne » et donc d’être une mécréante. C’est Shamseddine, qui a eu une relation amoureuse. C’est cet Algérien qui buvait une bière pendant le ramadan et s’est fait tuer. Notre message doit être le suivant : défendons la liberté de conscience, y compris de gens qui sont musulmans et qui refusent de se plier à une religion devenue totalitaire. Si quelqu’un pense que la charia doit s’imposer sur la liberté d’autrui, dans ce cas-là, il y a plein de pays pour ça. On a la chance d’avoir un monde ouvert ; il est tout-à-fait possible d’aller vivre dans des pays où la charia s’impose à tout le monde, mais ce ne sera jamais le cas en France. Voilà ce que les politiques français devraient dire.
« L’islamophobie », qu’est-ce que c’est ?
On devrait refuser absolument l’idée même d’islamophobie. On a le droit de critiquer l’islam, comme beaucoup ne se sont pas privés de critiquer le christianisme. Il n’y a rien de raciste là-dedans. En revanche, comme responsable politique, j’entends des gens dire: « l’islam devrait se réformer de telle ou telle manière », ou bien « il faudrait faire un concordat avec l’islam ». Cela n’a pas de sens. L’islam n’est pas organisé comme l’Église catholique. Ce serait ne rien comprendre à la manière dont fonctionne la réalité du monde musulman, au plan mondial d’ailleurs, car c’est un phénomène qui n’est pas seulement français ou européen. Notre rôle à nous, c’est de dire ce avec quoi nous ne transigerons jamais. Je le dis depuis longtemps : nous devons créer un délit pénal pour les atteintes à la liberté de conscience. Des élèves venaient me voir, quand j’étais professeur, en me disant : « je voudrais ne pas porter le voile, mais je n’ai pas le choix parce que si je ne le porte pas, je sais que je serai insultée, menacée et peut-être
même victime du pire. » Il faudrait, pour y répondre, qualifier un délit d’atteinte à la liberté de conscience. Je pense, par exemple, à la question de l’apostasie. Cela peut paraître curieux qu’un croyant parle d’apostasie, mais je le fais comme croyant aussi, parce que je crois justement qu’au cœur de la foi telle que l’Europe l’envisage, en se fondant sur ses racines chrétiennes, il y a d’abord la liberté. Aujourd’hui, il y a une ambiguïté à trancher sur ce sujet. A-t-on le droit de quitter l’islam ? En France la première personne qui affirme le contraire devrait être immédiatement reconduite à la frontière. Là-dessus, on ne devrait jamais transiger. Et si cette condition-là est acceptée, alors je ne suis personne pour dire qu’on ne peut pas être musulman et être un bon français. Il y a, par exemple, dans nos forces armées, des centaines de soldats
qui sont musulmans et patriotes.
Cela fait partie de l’identité de la France ?
Je ne parle pas de valeurs abstraites mais précisément de l’identité de la France. La liberté de conscience, c’est l’identité de la France et c’est notamment son héritage chrétien, d’une certaine manière. Un pays chrétien c’est un pays dans lequel il est possible de ne pas être chrétien. Et l’on ne devrait jamais accepter que dans un pays chrétien il ne soit pas possible de ne pas être musulman. Cette année à Pâques, en France, nous avons vu une recrudescence du nombre de baptêmes. Un certain nombre de ces baptêmes sont des baptêmes de gens qui étaient musulmans auparavant et qui se trouvent trop souvent mis au ban et même parfois menacés pour le choix qu’ils ont fait d’adopter et d’embrasser une autre religion que celle de leur communauté d’origine. C’est cela que nous devrions refuser absolument.
Comment avez-vous vécu le scandale du lycée Maurice-Ravel ?
La même histoire se répète. Contrairement à ce que dit le gouvernement, rien n’a changé depuis la mort de Samuel Paty. On ne pourra pas retrouver l’autorité sans reconstruire l’école et reconstruire la famille. Il faudra aussi relever la justice. À Marseille, les dealers vont chercher dans des foyers pour mineurs en difficulté les petites mains pour leur trafic qu’ils pourront payer moins cher parce que ce sont des jeunes déjà fragilisés par la vie. L’excuse de minorité est devenue le prétexte de l’impunité. Beaucoup grandissent en France dans l’idée que la sanction n’arrive jamais. Il y a longtemps eu cette espèce de débat absurde entre répression et prévention ; il n’y a pas d’éducation
possible si la perspective de la sanction n’est pas réelle, si elle reste toujours une fiction.
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L’article François-Xavier Bellamy : « Avec le macronisme, la France se dissout dans l’Europe » est apparu en premier sur les Républicains.