Éric Ciotti : « Nous payons le “n’importe quoi qu’il en coûte” »
Comptes de la nation, services publics, politique industrielle, prestations sociales… Éric Ciotti analyse le bilan économique désastreux du gouvernement et livre ses propositions pour retrouver l’équilibre budgétaire. Et pour rétablir d’urgence la confiance.
Le déficit public atteint un niveau jamais atteint. Avez-vous la très désagréable impression d’avoir été trompé lors de la présentation des budgets 2023 et 2024 ?
Je pense que Bercy, et je dirais de manière plus générale, l’Élysée ont menti aux Français. Les projets de loi de finances de 2023 et 2024 ne reflètent pas la réalité. Cette insincérité budgétaire aurait dû être sanctionnée par le Conseil constitutionnel, qui, naturellement, n’a pas fait preuve du même zèle que celui qu’il a eu pour retoquer la loi sur l’immigration, à la demande du Gouvernement. Cela démontre, là encore, combien cette institution dirigée par M. Fabius a perdu de son indépendance.
Ce qui s’est passé est extrêmement grave puisque le gouvernement a présenté aux Français un budget fondé sur des chiffres faux qui reposent sur des prévisions de croissance largement surévaluées. Cette insincérité apparait aujourd’hui en pleine lumière et sera vraisemblablement sanctionnée dans quelques jours par les agences de notation qui vont dégrader la note de la France.
Emmanuel Macron veut nous faire croire que la hausse du déficit pour 2023 est davantage dû à un problème de recettes que de dépenses. Le croyez-vous ? Et comment expliquer les erreurs dans les prévisions de croissance ?
Les mauvaises prévisions de Bercy avaient pour objectif de dissimuler la gestion désastreuse depuis 2017 de nos finances publiques. J’élargirai même cette période à 2012, puisque M. Macron a été ministre de l’Économie et secrétaire général adjoint de l’Élysée en charge de l’économie sous François Hollande. Depuis 12 ans, il exerce des responsabilités majeures en matière économique et nous le payons aujourd’hui. Cette catastrophe budgétaire fait de la France un des plus mauvais élèves de l’Europe, avec un record de dettes, de dépenses publiques, de déficit public, de prélèvements obligatoires.
Aujourd’hui, nous payons le “n’importe quoi qu’il en coûte”, la politique des chèques sans provision, celle des annonces non financées qui s’accumulent depuis des années et qui ont abouti à ce déficit abyssal de 5,5% du PIB l’année dernière, du jamais vu hors période de crise. Lesquels déficits s’additionnant depuis des années, ont construit le mur de la dette et font aujourd’hui de M. Macron « l’homme qui valait mille milliards d’euros de dettes », selon la formule que j’ai été le premier à utiliser, il y a trois semaines, lors du meeting de François-Xavier Bellamy à Aubervilliers.
Le gouvernement doit-il faire un budget rectificatif ?
Oui, c’est une nécessité démocratique absolue, et j’ai d’ailleurs expliqué au Premier ministre que vouloir réaliser 20 milliards d’euros d’économie sans projet de loi de finances rectificatives, cela ne s’était jamais vu ! Ce n’est pas conforme à notre Constitution, c’est au Parlement d’en débattre.
Croyez-vous Emmanuel Macron lorsqu’il affirme qu’il n’y aura pas de hausse d’impôts ?
Absolument pas. Je n’y crois pas et nous avons plus qu’un faisceau d’indices allant dans ce sens. Monsieur Macron nous parle de ne pas augmenter les impôts mais il veut alourdir les prélèvements obligatoires, il dit d’ailleurs que le problème vient des recettes et pas des dépenses.
Lorsque Gabriel Attal annonce la création d’un groupe de travail sur la rente ; c’est bien pour la taxer ! Alors après, qu’est-ce que la rente ? Les loyers immobiliers ? Les produits de l’épargne, les plans d’épargne logement ? Est-ce que ce sont les sommes abritées dans des assurances-vie ? Les prélèvements sur les résultats des entreprises ? Nous nous interrogeons. Mais je suis convaincu que le gouvernement a un plan caché pour faire payer l’addition aux Français qui travaillent. Ce plan sortira dès le lendemain des élections européennes. Le Gouvernement a menti sur les budgets, il peut aussi mentir sur les hausses d’impôts.
Il y a deux semaines, Emmanuel Macron a fait remarquer à Bruno Le Maire – il cache difficilement ses ambitions – qu’il était aux commandes depuis sept ans. Puis la semaine dernière, les deux hommes ont certifié qu’il n’y avait aucun désaccord entre eux…
Leur relation m’importe peu et elle importe peu aux Français. On voit bien qu’il y a une forme de jeu de rôle de la part du ministre de l’Économie, mais on sait aussi que tout se décide à l’Élysée, M. Le Maire est un exécutant, tout comme M. Attal. Ce qui compte, ce sont les décisions courageuses qu’il faut prendre pour redresser la situation. Et je ne vois vraiment rien qui aille dans ce sens, aussi bien dans les déclarations du Président de la République que dans celles du ministre de l’Économie qui, en effet, est en charge depuis sept ans de la politique économique. Rien ne l’oblige à rester et à exécuter les décisions de M. Macron s’il ne les partage pas. Il faut avoir le courage de ses convictions.
Le premier des gisements d’économie ne concerne-t-il pas d’abord l’État lui-même ?
Quel est le constat ? Les dépenses publiques représentent 57 % du PIB dans notre pays, un record en Europe. Nous sommes très largement au-dessus de la moyenne européenne qui est de 50 %. Il faut donc, à terme, revenir à ce niveau et je vois trois grands vecteurs de réformes.
Le premier, c’est, en effet, une réforme de l’État dont il faut simplifier le fonctionnement. Nous avons un État sur-administré qui produit des normes et de la bureaucratie qui sont autant d’entraves à la liberté d’entreprendre mais aussi à la qualité des services publics essentiels. Il faut alléger cet État devenu obèse, en supprimant les opérateurs de l’État qui font doublon avec les préfectures ou les administrations centrales. Il faut faire de même avec la plupart des 42 autorités administratives indépendantes, devenues des contrepouvoirs sans aucune légitimité démocratique.
Il faut aussi engager une réforme du statut de la fonction publique pour qu’elle soit moins nombreuse mais mieux rémunérée : à l’exception des fonctions régaliennes – sécurité, défense, justice et diplomatie – il ne peut plus y avoir de statut de la fonction publique aussi rigide : il faut y introduire de la souplesse par davantage de contractualisation. Il faut enfin transformer le fonctionnement de certains échelons territoriaux, coûteux et inefficace. Je pense, en particulier, aux métropoles et aux intercommunalités qui, en quelques décennies, ont créé plus de 350 000 fonctionnaires sans qu’on observe la moindre diminution de leur nombre dans les communes, bien au contraire. Cet empilement de strates porte atteinte à la libre administration des communes. Il faut avoir une organisation territoriale plus centrée sur les échelons de proximité que sont les communes et les départements.
Quels sont les deux autres vecteurs de réforme ?
Il y a la dépense sociale dont le poids a triplé depuis la période où le général de Gaulle était Président de la République. Elle représente 34 % du PIB, c’est beaucoup trop. Il est temps de la recentrer sur l’essentiel : la retraite et la santé avec un système refondé. Il faut aussi mettre un terme au cumul des allocations qui ont installé dans notre pays la culture de l’assistanat. Je prône la limitation des allocations, tant au niveau du montant que de la durée : le système social doit inciter à travailler plutôt que favoriser le non-travail.
Il faudra, dans le même esprit, arrêter de financer ce modèle social uniquement par le travail, avec de fortes cotisations qui pèsent sur les salariés et sur les employeurs. Comme le modèle social est coûteux, l’État prélève des cotisations salariales et patronales qui renchérissent le coût du travail, ce qui nuit à la compétitivité des entreprises. Au final, nous avons le pire des systèmes : des coûts salariaux parmi les plus élevés d’Europe et des salaires nets parmi les plus faibles avec donc une forte incitation au non-travail. Il est urgent de diminuer le poids des cotisations sociales, patronales ou salariales, pour favoriser la compétitivité et donner plus de pouvoir d’achat aux Français.
Prônez-vous donc le retour de la TVA sociale ?
À titre personnel, j’y suis favorable mais il y en d’autres comme celle de faire en sorte de taxer davantage les importations depuis les pays tiers de l’Europe : ils bénéficient d’avantages qui confinent à la naïveté et fragilisent nos économies. Si la France a perdu un million d’emplois industriels en 20 ans et si son industrie est passée de 20 % du PIB à moins de 10 %, c’est parce que les coûts salariaux ont conduit à un vaste mouvement de délocalisation dans des pays tiers de l’Europe et parce que nous avons une politique commerciale naïve et une politique industrielle très faible. Et aujourd’hui, depuis ces mêmes pays tiers on importe des produits qui sont sources d’émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’une concurrence déloyale pour nos producteurs. C’est ce modèle qu’il faut complètement revoir. Pour cela, il faut diminuer les dépenses publiques, lutter contre les dépenses sociales indues et contre la fraude sociale qui reste massive.
Vous parlez d’un troisième gisement d’économies…
Ce sont les dépenses liées à l’immigration de masse. Selon certaines études, elles pourraient atteindre 50 milliards d’euros par an. Là encore, il faudra conduire une réforme par le biais d’un changement de notre Constitution à la suite des décisions ahurissantes du Conseil constitutionnel présidé par M. Fabius : il considère qu’un étranger, dès le premier jour de son arrivée sur notre territoire, doit avoir droit au versement de toutes les prestations sociales, même sans avoir payé un euro de contribution. En 2011, il avait pourtant jugé l’inverse et déclaré conforme à la Constitution un délai minimal de cinq ans de résidence sur le territoire national fixé par le législateur pour l’accès des étrangers en situation régulière au revenu de solidarité active (RSA). Ces décisions relèvent davantage de la politique que du droit…
Vous avez menacé de déposer une motion de censure. Quelles sont les lignes rouges que le gouvernement ne doit pas franchir ? Finalement la motion de censure n’est-elle pas, comme l’arme nucléaire, d’abord un outil de dissuasion ?
Notre Constitution offre à l’opposition des outils, qu’il convient bien sûr de manier avec prudence mais que nous ne nous interdisons pas d’utiliser. Je considère qu’il y a trois lignes rouges : l’augmentation des prélèvements obligatoires (nous sommes déjà le pays qui paie le plus d’impôts et de cotisations au monde), la désindexation des pensions de retraites et la réduction de l’accès au soin pour les Français.
En cas de dépôt d’une mention de censure, le Rassemblement National et la NUPES ont déclaré qu’ils se joindraient à vous. Est-ce que ça vous gêne ?
Chaque parlementaire est libre de son vote.
Une fois qu’il y a une majorité pour voter la motion de censure, le gouvernement tombe. Les Républicains sont-ils prêts à gouverner ?
Nous sommes les seuls à être prêts à gouverner. Les Français voient le bilan d’Emmanuel Macron ; ils doivent maintenant juger sur pièce. Je les appelle à la lucidité. Le programme du Rassemblement National ne prône pas le retour à la liberté économique et adhère plutôt à un modèle d’assistanat généralisé. Je rappelle que les députés RN ont voté contre l’obligation des 15 heures d’activité pour les bénéficiaires du RSA. Ils se sont également prononcés pour le retour de 64 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite et le maintien des régimes spéciaux. Il s’est aussi opposé à la réforme de l’assurance-chômage. Sur les questions régaliennes aussi bien qu’économiques, particulièrement préoccupantes actuellement, nous avons formulé les réponses les plus pertinentes. Nous avons démontré, lors de la nuit de l’économie, que notre plan était prêt, que nous portions des propositions nouvelles, audacieuses et que nous avions surtout l’ambition de la réforme. Je rappelle que l’année dernière, nous avons bâti un contre-budget avec 25 milliards d’euros d’économie alors que le Gouvernement peine à en trouver 10. Nous avons en outre déposé un projet de loi sur l’immigration qui est prêt à être soumis aux Français par référendum. Nous apportons des réponses à l’augmentation de la violence et à la prolifération du trafic de drogues. Nul ne doute aujourd’hui que nous avons les compétences pour mettre en place nos idées et nos valeurs au service des Français. Nous sommes prêts à reprendre le contrôle pour tout changer.
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