Eric Ciotti : « Monsieur Darmanin, ne tuez pas les Brigades du Tigre ! »
Le député LR des Alpes-Maritimes exhorte le ministre de l’Intérieur à renoncer à sa réforme prévoyant la réorganisation de la police judiciaire en de grandes entités départementales. Cela reviendrait à se priver d’un outil redoutable pour lutter contre la délinquance, déplore-t-il.
Il y a 115 ans, par un décret du 30 décembre 1907, Georges Clemenceau, chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur, créait sur conseils de Célestin Hennion, directeur de la Sûreté générale, les brigades régionales de police mobile, surnommées depuis les « Brigades du Tigre ». L’idée était simple : face à une délinquance et une criminalité en forte augmentation, et qui s’appuyait sur les progrès de la technique comme l’automobile pour s’organiser en réseaux, il fallait repenser radicalement le mode de fonctionnement de la police française en se débarrassant des structures administratives et des procédures archaïques.
Très vite les résultats sont là, et ils mettent un coup d’arrêt à la flambée du crime : 2695 arrestations – dont 65 meurtriers, 7 violeurs, 10 faux-monnayeurs, 283 escrocs et 193 cambrioleurs – sont réalisées en moins de deux ans. La police judiciaire moderne était née, elle s’est affirmée depuis comme une police d’élite et dont les résultats sont exemplaires.
C’est pourtant sur cette réussite, jamais démentie depuis comme peuvent en témoigner les taux d’élucidation élevés et l’immense professionnalisme des policiers de la « PJ », que le ministre de l’Intérieur actuel semble vouloir revenir.
Préfigurée dans le livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2020, la réforme concernant l’organisation en directions départementales de la police nationale va disloquer la police judiciaire dans des entités départementales confuses et vastes.
L’objectif? Mettre fin au fonctionnement en « tuyaux d’orgue », c’est-à-dire diluer les différentes composantes des services de police (la sécurité et l’ordre publics, le renseignement territorial, la police aux frontières et la police judiciaire), dans des directions départementales de la police nationale.
Peu importe que les premières expérimentations menées dans quelques départements soient loin de faire l’unanimité.
Peu importe que le calendrier laisse penser à une réforme menée dans la précipitation, ce qui ne pourra que conduire à un échec.
Peu importe que plusieurs représentants de policiers et de magistrats tirent la sonnette d’alarme face à une réforme qui risque de détruire un formidable outil d’enquête pour le démantèlement de réseaux de criminels et de lutte contre la délinquance économique et financière.
Peu importe que cette réorganisation risque de diluer la police judiciaire dans des missions plus « visibles » médiatiquement et statistiquement, au détriment des gros dossiers d’enquêtes criminelles. En effet, en regroupant l’ensemble des effectifs de police d’un département sous une autorité unique, rien ne garantit à ce stade que des redéploiements au sein des services ne soient faits en fonction des priorités politiques du moment. Ceci ne pourra signifier que la mise de côté des dossiers complexes, longs à traiter et peu visibles politiquement. En clair : on risque de déshabiller Pierre pour habiller Jacques.
Or, la première mission de la police est d’interpeller ceux qui violent les lois, pour ensuite les déférer à la justice. Sans une police judiciaire efficace, qui a les moyens de son fonctionnement, cette mission ne serait remplie qu’à moitié.
Malgré tous ces éléments, la réforme est bel et bien sur les rails, avec une forme d’obstination de la conduire à marche forcée. Monsieur Darmanin veut sa réforme, mais celle-ci risque de déstabiliser profondément notre meilleur service d’investigation.
Il est vrai bien sûr que la filière investigation de notre police rencontre beaucoup de difficultés. En particulier, elle peine à attirer de nouveaux profils, notamment du fait de la complexification de la procédure et de la charge administrative des enquêtes, là où beaucoup de policiers aspirent plutôt à un travail de terrain. Ce n’est pourtant pas en démolissant un modèle éprouvé que nous remédierons à ces problèmes. La réforme voulue risque en revanche de fragiliser encore un peu plus cette filière stratégique pour notre sécurité intérieure.
Au contraire, plutôt que de vouloir la diluer, assumons la spécificité de notre police judiciaire, travaillons à rendre ses missions plus attractives et donnons-lui les moyens, dans chaque département, de fonctionner tout en assurant son autonomie. La criminalité organisée, contre laquelle elle a vocation à lutter, ne s’organise pas en structures administratives départementales. À l’ère d’internet, des grands trafics mondiaux, notamment de stupéfiants, ce serait une erreur lourde que d’enfermer notre police judiciaire dans des strates bureaucratiques abandonnées il y a plus d’un siècle.
Monsieur le Ministre, écoutez les professionnels de la police judiciaire et les magistrats. Écoutez les retours d’expérience dans les départements tests. Préservez notre police judiciaire qui fait depuis plus d’un siècle la fierté de notre pays.
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