Bruno Retailleau : « Il n’est pas question que le Sénat cautionne un budget de campagne électorale »
Le Sénat va rejeter le projet de loi de finances pour 2022 avant même la fin de son examen pour protester contre la « folie dépensière » de l’exécutif. « Emmanuel Macron est en train d’acheter son élection », accuse le chef de file des sénateurs LR, qui plaide, dans le prochain quinquennat, pour une baisse de la dépense publique et des impôts de production.
Pourquoi rejeter purement et simplement le projet de loi de finances, alors que le premier rôle des parlementaires est d’examiner les textes ?
Nous allons poser un acte grave, qui est un acte rare. Nous avons examiné le budget en commission de manière très méticuleuse, et nous sommes en train d’examiner la première partie du budget sur les recettes, mais nous n’irons pas plus loin parce que le gouvernement est allé trop loin dans une folie dépensière , une frénésie démagogique. Ce budget exprime de mauvais choix. Un budget doit préparer l’avenir. Celui-là le sacrifie.
C’est-à-dire ?
Il n’est pas question que le Sénat cautionne un budget de campagne électorale et de « quoi qu’il en coûte », sans aucun rapport avec le Covid. Je ne conteste pas la nécessité du bouclier de l’Etat en période de crise. Ce que je dénonce, ce sont les 42 annonces faites depuis la fin de l’été pour 25 milliards d’euros, irresponsables . Ce que je dénonce, ce sont les 100 milliards d’euros de dérive de la dépense ordinaire en trois ans, et les 680 milliards de dette de plus, plaçant la France en Europe dans un risque systémique. Avec le retour de l’inflation, on ne peut plus exclure l’augmentation des taux et là, ce sera la catastrophe.
Vous dénoncez un président en campagne. Mais n’êtes-vous pas vous-même dans la politique politicienne ?
Nous avons toujours donné au gouvernement les moyens de protéger les Français. Le Sénat a voté les budgets rectificatifs au moment de la crise. Il a aussi voté – ce qui n’était pas simple – pour le passe sanitaire . Mais ce budget réunit toutes les lâchetés et les abandons de ce quinquennat. Voilà un président de la République qui avait promis de tout transformer et qui aura très peu réformé, l’abdication de la réforme des retraites étant à cet égard symbolique. Voilà un président qui nous promettait une cure de jouvence, un monde nouveau, et qui utilise la plus vieille ficelle politicienne : un problème, une dépense.
Enfin, voilà un président qui aura concentré énormément de pouvoir entre ses mains pour des résultats très médiocres.
Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, lui aussi LR, a noté que la croissance des dépenses publique hors crise a été légèrement moindre sous ce quinquennat que sous ceux de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy…
100 milliards d’euros en trois ans, c’est plus que les dernières années de François Hollande et c’est le record depuis quinze ans ! Que la droite n’ait pas tout bien fait, j’en suis parfaitement conscient. Sinon nous serions encore au pouvoir… Mais là, on a atteint des niveaux jamais atteints. Laisser penser, comme avec le chèque inflation , qu’on peut améliorer le pouvoir d’achat par toujours plus de dépenses publiques quand on est à des niveaux record d’endettement, c’est de la démagogie pure et simple.
Le niveau de vie des Français dépend du niveau de création de richesse, donc de la production et du travail. Produire plus et travailler plus, c’est le seul moyen d’augmenter vraiment le pouvoir d’achat des Français.
Accusez-vous Emmanuel Macron d’avoir « cramé la caisse », comme le dit Valérie Pécresse ?
Je le dis avec mes mots mais oui, cette expression est parfaitement juste. Emmanuel Macron est en train d’acheter son élection et, pour cela, il est prêt à plomber la France et sa jeunesse.
En rétablissant les comptes beaucoup plus rapidement que ne le prévoit le gouvernement, ne risque-t-on pas de casser la croissance ?
Il ne faut pas tuer la reprise dans l’oeuf. Mais entre la prudence et l’irresponsabilité, il y a une marge énorme. Finalement, Emmanuel Macron pratique une forme de passéisme. C’est toujours la même recette : penser qu’il n’y a pas de problème qui puisse être soluble sans une avalanche de subventions et de dépenses. Le « Ségur de la santé » va-t-il faire quelque chose pour le rétablissement de l’hôpital et de notre système de santé ? Non, parce que dépenser sans réformer, c’est se condamner à l’échec. C’est la même chose pour le Beauvau de la sécurité ou sur les Etats généraux de la justice. La relance sans la réforme, c’est la fuite en avant. Et à terme, c’est la banqueroute assurée.
Les candidats au congrès des Républicains parlent peu de la dette ou des déficits. Le regrettez-vous ?
En tout cas, moi, j’en parle. Si la dépense publique était l’indicateur de l’efficacité, alors nous aurions l’hôpital et l’école les plus performants du monde. Pour l’instant, l’Etat cache le déclassement français sous un rideau de chèques, mais derrière, le mur de la réalité approche. On peut reconstruire la prospérité, mais en refondant les bases de notre système de production et en acceptant de travailler plus.
Comment peut-on être ce pays qui pèse moins de 1 % de la population mondiale, moins de 4 % de la production mais près de 14 % des dépenses sociales planétaires ? Beaucoup de Français, dans notre électorat et au-delà, attendent un discours de vérité. Un Etat qui dépense et réglemente toujours plus, c’est un Etat bureaucratique qui paterne la société et s’immisce dans nos vies. La droite doit être attachée à la liberté ; depuis trois siècles, c’est la ligne continue de notre famille politique.
Si la droite en parle peu, est-ce à cause du traumatisme de 2017, lorsque François Fillon promettait du sang et des larmes ?
Nous avons à l’époque manqué de pédagogie. Mais le sang et les larmes, c’est ce que nous avons déjà avec la paupérisation de la classe moyenne française, qui va encore s’aggraver avec l’inflation. Le chemin de la prospérité, ce sont des finances qui sont tenues et des entreprises qui sont libérées.
L’ampleur des coupes dans la fonction publique fait débat à droite. Où placez-vous le curseur ?
Plutôt que de donner un chiffre, il faut dessiner un chemin. La baisse du nombre de fonctionnaires sera la conséquence logique d’un Etat mieux géré, donc d’une réforme ambitieuse de nos services publics. Il faut débureaucratiser, décentraliser et aligner le temps de travail de la fonction publique sur le privé.
Il faut aussi lever deux tabous. Celui du statut à vie pour les métiers de la fonction publique qui ne relèvent pas des missions régaliennes. Et celui du monopole de la fonction publique pour des tâches qui pourraient être assumées par le privé avec plus d’efficacité et pour moins cher.
Compte tenu de la situation dégradée des comptes publics, une baisse de fiscalité est-elle encore possible pour le prochain quinquennat ?
Les impôts en France sont beaucoup trop élevés. Il faut renverser la vieille logique socialiste encore en vigueur sous Emmanuel Macron. C’est la baisse des impôts, conjuguée à la réduction de la dépense publique, qui produira la vitalité des entreprises, donc la croissance, la hausse des salaires et l’allègement du poids de la dette. Il faudra notamment diminuer drastiquement les impôts de production et les charges qui pèsent sur les entreprises, tout en taxant plus aux frontières européennes les produits étrangers qui ne respectent pas nos normes sociales et environnementales.
A une semaine du congrès et après déjà trois débats, savez-vous pour qui voter ?
Non. Mon choix n’est pas arrêté. Je l’arrêterai mais je ne le communiquerai pas. Pour préserver l’unité du groupe LR au Sénat et parce que dès le 4 décembre, nous devrons tous être rassemblés, sans arrière-pensées, derrière celui ou celle qui aura été choisi.
Sur le plan économique, un projet vous semble-t-il toutefois à la hauteur des défis que vous décrivez ?
Il y a deux bonnes nouvelles dans cette campagne interne. La première, c’est la convergence des candidats sur une ligne commune, qui est celle d’une droite exigeante sur le plan régalien. La seconde, c’est que cette ligne est également réformatrice sur le plan économique , même si j’espère qu’on en parlera un peu plus dans la dernière ligne droite…
Ce qui distingue aujourd’hui les candidats, c’est plus l’incarnation, le tempérament, la personnalité, l’expérience… C’est important mais nous avons déjà l’assurance d’être d’accord sur l’essentiel. C’est un préalable indispensable d’abord pour gagner et ensuite pour redresser le pays.
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