Bruno Retailleau : « Au Sénat, notre ligne doit être indépendante »
Budget, immigration, violence faite aux élus… Le président du groupe LR à la Chambre haute dévoile les chantiers à venir.
Bruno Retailleau a été reconduit à la présidence du groupe LR à la Chambre haute. Seul candidat, réélu par acclamation, le sénateur de Vendée détaille au Figaro les priorités de la majorité sénatoriale.
Le Sénat a renouvelé la moitié de son assemblée dimanche dernier, mais nombre de Français et le président de la République lui-même n’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt pour ce rendez-vous démocratique. Comment l’expliquez-vous ?
C’est une élection moins médiatique, puisque seuls les élus locaux votent. Mais je constate que le Sénat, désormais, est pleinement reconnu et occupe une place essentielle dans le débat, que personne ne lui conteste. Emmanuel Macron est sans doute intervenu à la télévision le soir du scrutin pour faire passer au second plan la cuisante défaite de son parti aux sénatoriales.
Quels constats vous permettent de penser que le Sénat est mieux reconnu ?
Les Français ont compris que face à une Assemblée nationale trop souvent hystérisée, le Sénat était un pôle de stabilité, mais aussi un contre-pouvoir face aux tentations jupitériennes. Notre indépendance, c’est la première des garanties que nous offrons aux Français. La seconde, c’est le choix que nous avons fait d’une opposition d’intérêt général. Enfin, nous sommes la voix des territoires. L’immense paradoxe est que jamais nous n’avons eu autant besoin des maires et jamais, pourtant, les maires n’ont été autant découragés par l’État. Un État qu’ils perçoivent comme un empêcheur d’agir et qui n’a jamais vraiment accepté la décentralisation.
Vous avez perdu 8 sièges et les centristes du groupe UC, 5. Quel est l’état précis des forces LR et de votre majorité sénatoriale, sachant que la composition des groupes peut se préciser jusqu’au 2 octobre ?
Le groupe LR restera, de très loin, le premier groupe de la majorité sénatoriale. Nous serons sans doute plus de 130, ce qui, par les temps qui courent, est une performance, car en 2020, le paysage politique était beaucoup moins éclaté. La majorité sénatoriale sera également confortée avec nos amis centristes.
Pourquoi confortée ?
Parce qu’elle comptera au final près de 200 élus de la droite et du centre dans un contexte où l’on constate le retour du clivage droite-gauche. C’est ce clivage qui permet le mieux à la démocratie de fonctionner. La tripartition du paysage politique, avec un grand centre et deux ailes radicales, ancre le fait minoritaire dans la Ve République qui n’est pas faite pour ça. J’ajoute que si le Sénat pèse davantage, c’est parce que nous sommes capables d’avoir une colonne vertébrale. Nous devons tenir sur nos convictions, ne pas participer à la grande confusion qu’a introduite le « en même temps ». Si les grands électeurs avaient voulu que le Sénat serve de majorité de substitution à Emmanuel Macron, ils auraient voté majoritairement pour des candidats macronistes.
Quand Hervé Marseille, le président du groupe UC, voit un « rééquilibrage » de la majorité sénatoriale, comment comprenez-vous ce mot ?
Je ne raisonne pas en rapports de force. La clef de voûte de la majorité sénatoriale, c’est ce qui doit donner sa raison d’être au Sénat : une ligne claire et indépendante.
Comment observez-vous le jeu d’Édouard Philippe et de son parti, Horizons ?
L’arrivée d’Horizons au Sénat ne modifiera pas les équilibres : numériquement, ils sont trop faibles ; et politiquement, on voit bien qu’Édouard Philippe est en train de se détacher d’Emmanuel Macron.
Alain Joyandet, sénateur LR de Haute-Saône, réclame une modification des statuts du groupe au nom d’une « respiration démocratique ». Souhaitez-vous ouvrir ce chantier ?
Le règlement qui régit la vie de notre groupe fut établi par mes prédécesseurs. Il est normal qu’il évolue. C’est un chantier que nous devrions pouvoir lancer rapidement.
Quelles sont les priorités pour le groupe LR au Sénat dans les mois à venir ?
Des textes importants vont arriver : celui sur l’immigration, bien sûr, mais aussi, les textes budgétaires. Le Sénat sera extrêmement exigeant sur la loi de programmation des finances publiques pour une raison simple : nous allons droit dans le mur. En 2027, nous serons le dernier pays d’Europe à atteindre le seuil des 3%. Nous proposerons aussi nos propres textes, sur la violence faite aux élus, sur le logement mais aussi sur l’écriture inclusive, car nous refusons la déconstruction de notre langue.
Après avoir écouté Emmanuel Macron au JT de 20 heures dimanche dernier, vous avez dit percevoir une « première inflexion » à propos du projet de loi sur l’immigration. Pourquoi ?
Emmanuel Macron a dit deux choses : d’abord, que la régularisation des clandestins qui travaillent ne doit pas être automatique, soit l’inverse de ce qui est dit dans le texte du gouvernement. Ensuite, il a évoqué la formation prioritaire des Français sur les métiers en tension. C’est ce que nous avons toujours dit ! Mais je ne le crois pas sur parole : avec Emmanuel Macron, on ne sait jamais si ce qu’il dit un jour sera vrai le lendemain.
Cette régularisation des clandestins pour les métiers en tension reste-t-elle une « ligne rouge » pour la droite ?
Évidemment. Hors de question de donner une prime à la fraude en régularisant massivement des clandestins. Légaliser l’immigration illégale, c’est créer un nouvel appel d’air.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, cherche-t-il un accord avec la droite sur l’immigration ?
Le ministre de l’Intérieur est surtout à la recherche d’un accord avec sa propre majorité !
La course aux européennes est lancée : Jordan Bardella (Rassemblement national) et Marion Maréchal (Reconquête !) sont en précampagne. Comment la droite doit-elle se positionner ?
La droite doit tracer sa route, sans s’épuiser dans les calculs électoraux. Le vrai sujet, c’est le projet. Reconquête ! parle davantage de LR que d’Europe. Le Rassemblement national veut bâtir un projet autour de la puissance, mais on ne peut vouloir la France du général de Gaulle avec le programme économique de Jean-Luc Mélenchon. Quant à Renaissance, son projet fédéraliste se réduit à une chimère : la souveraineté européenne. Grâce au formidable travail de François-Xavier Bellamy, député européen LR, nous avons un vrai bilan à faire valoir, une vraie vision à porter également : l’Europe doit être la solution, pas le problème. Je constate que sur le nucléaire, l’immigration ou la défense de notre agriculture, c’est souvent loin d’être le cas. La force de l’Europe ne doit pas se construire sur l’affaiblissement des droits des peuples et des États.
Les messages d’Emmanuel Macron adressés à la Corse vont-ils dans le bon sens ?
L’autonomie calquée sur la Nouvelle-Calédonie, comme la demande Gilles Simeoni, n’est pas possible. On peut parfaitement mieux tenir compte des spécificités de l’insularité. Mais je m’opposerai à la co-officialité de la langue et au statut de résident qui feraient de cette autonomie l’antichambre de l’indépendance. Il ne peut pas y avoir deux catégories de citoyens dans la République française.
Face à la situation alarmante de l’Arménie, que demandez-vous d’urgence au président de la République ?
J’ai demandé que la France dépose une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU pour garantir les droits humanitaires des Arméniens et mettre un terme à l’épuration ethnique et religieuse. Ouvrons les yeux : la cible d’Aliev et d’Erdogan, c’est l’Arménie elle-même. Elle est menacée dans son existence et l’Europe regarde ailleurs ! J’ai été outré d’entendre le porte-parole de la Commission européenne affirmer qu’il fallait augmenter la livraison du gaz azerbaïdjanais à l’Europe alors qu’une grande partie provient de la Russie. L’Europe organise le contournement de ses propres sanctions. Ce double langage témoigne d’un naufrage moral. Cette Europe-là nous déshonore.
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