Michel Barnier : « Ursula von der Leyen va devoir rendre des comptes »
L’ex-négociateur du Brexit fustige le « mauvais accord » douanier passé entre l’UE et Donald Trump. Il répond aussi pour la première fois à Rachida Dati qui compte se présenter face à lui dans la 2e circonscription de Paris.
Il s’est mis quelques jours au vert, « mais cela ne m’empêche pas de faire campagne », assure-t-il, concentré sur sa première élection depuis les européennes de 2009. Car celui qui a livré en juin ses réflexions sur le pouvoir dans Ce que j’ai appris de vous (Calmann-Lévy), repart au combat. Il est candidat à cette législative partielle dans la 2e circonscription de Paris qui vire au psychodrame à droite en raison de la dissidence de Rachida Dati.
Et cela n’empêche pas non plus l’ancien commissaire européen au Marché intérieur de passer au scanner, pour La Tribune Dimanche, le deal passé par la présidente de la Commission européenne avec Donald Trump. « Une immense défaite », tranche-t-il.
L’accord entre les États-Unis et l’UE est « un aveu de faiblesse », avez-vous tweeté, ajoutant que cette faiblesse résulte de « mauvais choix ». À quels mauvais choix faites-vous allusion ?
L’Europe ne peut pas jouer en défensive tout le temps et se contenter d’éviter la casse. Cet accord est un mauvais accord. Il est déséquilibré et dicté à l’Union européenne dans des conditions assez humiliantes : une convocation de monsieur Trump entre deux parties de golf en Écosse. On est très loin de l’Europe géopolitique qu’Ursula von der Leyen ambitionnait de créer ! C’est une immense défaite de ne pas avoir su utiliser notre principal atout dans le nouveau monde qui arrive : notre marché intérieur, un écosystème complet de 450 millions de consommateurs à haut pouvoir d’achat pour l’essentiel et de 22 millions d’entreprises. Les milieux économiques avaient une priorité, que j’entends bien : gagner en stabilité et en visibilité. Leurs réactions sont d’autant plus mesurées que l’on ne connaît pas le détail et que l’on espère toujours des exemptions. Et j’appelle le gouvernement français à bien veiller à ce que ces exemptions protègent au mieux nos industries exportatrices, au-delà du seul secteur aéronautique. C’est l’ambition de réindustrialisation de la France qui en dépend ! Je rappelle d’ailleurs qu’un accord n’existe que quand il est écrit, c’est en tout cas la tradition du côté de l’UE.
Y voyez-vous de la part de Trump une volonté de nuire à l’Europe ?
Il est clair depuis déjà le premier mandat de Trump que nous avons affaire à un président américain qui méprise l’Europe, ne comprend pas le projet politique européen et ne cherche que des clients-vassaux dans des relations transactionnelles avec chaque État membre. On ne peut pas plaider la mauvaise surprise, il avait annoncé la couleur ! La compétition commerciale, dans ce qu’elle a de plus agressif et sans logique partenariale, l’emporte sur toutes les autres considérations stratégiques, ce qui est totalement inédit depuis quatre-vingts ans. Les Européens doivent être lucides face à cette nouvelle donne, d’autant que les autres grandes puissances - la Chine bien sûr, mais aussi les autres économies émergentes - ont bien compris qu’elles pouvaient tirer profit de la faiblesse européenne.
Comment la présidente de la Commission européenne aurait-elle pu s’y prendre différemment ?
L’option de tenir un vrai rapport de force, en préparant des mesures de rétorsion notamment sur les géants américains du numérique, n’a visiblement jamais été considérée sérieusement. La volonté d’apaisement à tout prix, au nom d’un partenariat trans-atlantique pourtant totalement méprisé par Trump lui-même, semble avoir toujours eu les faveurs de la présidente de la Commission. La façon même de présenter les résultats de cette pseudo-négociation en atteste. Quand s’engager à acheter, au prix fort, des milliards de GNL américain est décrit par la Commission comme un « partenariat énergétique », on comprend bien dans quelle logique se place Bruxelles ! Les Européens n’ont jamais pu sortir d’une approche défensive, certes du fait de l’agressivité de Trump, mais en ont-ils seulement eu la moindre volonté ?
Vous aviez négocié le Brexit en prenant le temps de consulter chacun des acteurs, la présidente de la Commission a-t-elle agi, à vos yeux, de manière trop solitaire ?
J’ai tiré une leçon essentielle de cette longue négociation de quatre ans et demi avec les Vingt-Sept d’un côté, que je représentais, et le Royaume-Uni qui était dirigé à l’époque par des responsables politiques qui ressemblent à monsieur Trump : il faut prendre un soin quotidien de l’unité des Vingt-Sept, faire en sorte que tous soient à bord. Cela demande beaucoup d’énergie. La tentation est toujours de penser que l’on ira plus vite tout seul. Il faut au contraire toujours davantage de travail en équipe, au sein de la Commission d’abord et bien sûr avec les États membres et le Parlement européen. Ensemble, on est plus fort… à condition d’être ensemble. À l’époque de cette négociation, j’ai d’ailleurs acquis la conviction qu’il ne devrait y avoir qu’un seul président pour la Commission et le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernements.
On attendait beaucoup des exemptions, notamment dans le secteur des vins et spiritueux. N’est-ce pas un miroir aux alouettes ?
Le secteur des vins et spiritueux revêt un enjeu considérable pour la France vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Il est un secteur emblématique du savoir-faire français et c’est une faute de la part des Chinois de l’avoir attaqué, tout comme cela le serait de la part des Américains. D’autres filières sont très sensibles comme le lait ou le porc, mais aussi la cosmétique ou les industries du luxe qui participent du soft power de la France. Sans compter que nous n’avons pas non plus le détail des mesures pour l’aéronautique ni pour les pièces détachées en matière automobile. Cela fait une masse d’incertitudes.
Les engagements pris par Ursula von der Leyen (en matière d’achat d’énergie et d’armement) lors de cette discussion avec Trump sont-ils tenables compte tenu des règles européennes ?
Nous ne pouvons pas être engagés par une promesse de madame von der Leyen sur une acquisition aveugle d’énergie, surtout d’énergie fossile. C’est contraire à l’ambition de décarbonation européenne dont le nucléaire français est un atout majeur. Il faudra que la présidente de la Commission rende des comptes, au Conseil des ministres de l’UE et au Parlement européen. On ne peut pas non plus renoncer à l’idée de la préférence européenne sur les questions d’armement.
Que devrait faire l’Europe pour être « crainte », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron ?
Préférer ne pas signer d’accord plutôt qu’un mauvais accord et être capable de tenir le rapport de force, à condition qu’une majorité d’États membres soient sur cette ligne. Puis menacer ou dire que nous allons répliquer par des droits identiques ou équivalents sur d’autres secteurs comme le numérique.
N’est-on pas également en situation de faiblesse quand la Chine s’apprête à déverser sur le marché européen tout ce qu’elle ne peut plus déverser sur le marché américain ?
J’étais à Pékin il y a deux mois pour le 40e anniversaire des relations entre l’UE et la Chine. J’y ai tenu un discours très clair : nous devons nous défendre et dire où se trouvent nos intérêts stratégiques, nos intérêts vitaux, et j’ai ajouté que je pensais que la Chine, qui fait la même chose, était capable de le comprendre. Dans la situation actuelle, il faut de la résistance, de la résilience et de la détermination, ce dont nous manquons cruellement. Il est important pour l’Union européenne de diversifier nos partenariats commerciaux et d’ainsi réduire notre « hyperdépendance » à ces deux superpuissances (États-Unis, Chine) qui ont en commun de chercher à nous affaiblir. Nous connaissons un moment assez grave pour l’idée que nous nous faisons, nous Français, de l’Union européenne. Si un jour il y a un pouvoir extrémiste en France anti-européen, souverainiste au sens le plus brutal du terme, nos partenaires verront la différence.
Hormis cet accord à 15 % de droits de douane, quelles étaient les autres options ?
Avec de la détermination, de la discipline et une conscience des rapports de force, nous aurions pu obtenir un autre accord. Dois-je vous rappeler que si nous avons un excédent en matière de biens avec les États-Unis, nous avons un déficit très fort en matière de services ? Dans ce contexte, il était possible et nous aurions dû utiliser les outils à notre disposition pour faire pression sur l’industrie de la tech et les services financiers américains. Mais il ne faut pas se tromper. Certes, les Italiens, les Allemands ou les pays nordiques ont choisi de laisser passer cet accord. Mais ce qui est flagrant, c’est l’isolement français. Nous sommes coupables de la faiblesse de notre pays, de sa perte d’influence liée à sa situation budgétaire et à notre instabilité politique due à la regrettable dissolution. C’est à cela qu’il faut répondre pour préparer l’horizon 2027.
Votre successeur, François Bayrou, a présenté mi-juillet un plan d’économie de 43,8 milliards d’euros en vue du budget 2026 avec des mesures qui sont très contestées. Soutiendrez-vous ce plan si vous êtes élu député ?
Un pouvoir n’est pas forcément aimé et il n’est pas toujours soutenu, mais il faut au moins qu’il soit respecté. Je soutiendrai l’objectif que j’avais moi-même fixé de réduction de notre déficit. Nous n’avons pas encore les détails du budget que présentera François Bayrou, mais je ne lui mettrai pas de bâtons dans les roues sur ce sujet qui est d’intérêt national. Je souhaite la stabilité, donc je souhaite que le budget trouve un chemin. Cela demande un effort collectif, un effort bien expliqué, un effort juste, auquel chacun doit prendre part.
Un certain nombre de macroéconomistes évoquent assez clairement un risque de crise à la grecque en France. Qu’en pensez-vous ?
J’ai été le commissaire européen au Marché intérieur pendant près de cinq ans, de 2010 à 2014, au cœur de la crise financière. Les marchés ne préviennent pas. Ne demandent pas la permission. Donc il faut faire très attention. Nous affrontons un double risque. Le risque actuel, c’est l’étranglement progressif et parfois silencieux lié à l’augmentation des taux. Nos taux ont dépassé les taux espagnols, portugais, grecs et même italiens. On sait bien le prix que ça coûte. Le seul montant de l’intérêt de l’emprunt va coûter 62 milliards cette année, c’est absolument insensé. Et puis l’autre risque, plus brutal, plus imprévisible mais qu’il faut anticiper est celui de la tempête financière et spéculative. D’où la nécessité de réduire notre déficit.
S’il y avait une nouvelle censure, ne serait-ce pas un signal dévastateur pour les marchés, justement ?
C’est pour ça que j’ai beaucoup regretté l’attitude irresponsable du Parti socialiste au moment de ma nomination à Matignon. J’en connais les raisons, il s’agissait de faire tomber tout Premier ministre qui n’était pas de gauche. Le Rassemblement national, pour des raisons idéologiques qui n’ont rien à voir avec le budget, a voulu me faire tomber aussi. Est-ce qu’on peut espérer plus de responsabilité compte tenu de l’intérêt national ? Je le souhaite, je l’espère encore mais je n’en suis pas sûr.
Bruno Retailleau, déjà ministre de l’Intérieur dans votre gouvernement, exprime de plus en plus de dissonances avec ses collègues Renaissance et le Premier ministre, François Bayrou. Cette situation est-elle tenable ?
Je ne regrette pas d’avoir fait confiance à Bruno Retailleau. C’est un homme droit, de conviction, qui a le sens de l’État, qui aime et respecte le dialogue. François Bayrou, en accord avec Emmanuel Macron, a choisi de le maintenir et c’est une bonne chose. À droite, nous avons maintenu ce pacte de gouvernement que j’ai mis en œuvre en tant que Premier ministre. Les Français ont salué ce choix et c’est dans cet esprit que travaille Bruno Retailleau. Il a été approuvé dans cette démarche par les adhérents LR, qui ont voté pour lui à 75 % lors de notre dernier congrès. Lorsque j’étais à Matignon, j’ai mesuré la difficulté de faire collaborer quatre formations politiques. Il faut que chacun y mette du sien, qu’il y ait des compromis sur tous les sujets. J’espère que l’intelligence collective prévaudra pour préserver jusqu’en 2027 ce contrat de gouvernement, même si c’est dur. Les membres de l’actuel exécutif vont devoir continuer d’œuvrer ensemble autour du prochain président de la République, dont j’espère qu’il sera issu de LR. Personne ne pourra gouverner seul, donc il faudra bien une alliance responsable.
À la surprise générale, vous vous êtes lancé à la conquête de la 2e circonscription de Paris dans le cadre de la législative partielle prévue après l’été. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Pour être sur le pont ! Dans un moment de tempête comme celui que nous traversons, on ne se met pas de côté, on ne se protège pas. Je suis un homme politique, j’ai été Premier ministre il y a moins d’un an, en exprimant un message, une attitude, une volonté de responsabilité et d’engagement pour servir mon pays. Dans les faits, je suis parisien depuis plus de vingt ans. J’habite depuis plus de douze ans dans cette circonscription, pas si éloignée du Conseil constitutionnel, qui a annulé l’élection du député sortant, Jean Laussucq, quelqu’un de consciencieux et de sérieux. Il y a donc besoin d’un nouveau député. Avec ceux qui m’aident, m’encouragent et travaillent avec moi depuis longtemps, nous avons considéré qu’il y avait là une occasion pour prendre toute ma part dans le débat politique. Je souhaite, pour les trois arrondissements qui constituent cette circonscription, le 5e, une partie du 6e et l’essentiel du 7e, être un parlementaire au service des citoyens. J’ai été député, je sais qu’un député fabrique la loi et contrôle l’action du gouvernement. C’est le terrain sur lequel je m’engage à être une voix forte et claire au nom de mes électeurs. Ces arrondissements ont aussi leur lot de problèmes, d’espoirs et de préoccupations ; je les porterai. Cet acte de candidature est, au fond, assez simple : d’ici à 2027, pour les Français, chaque mois compte et nos choix - au gouvernement comme au Parlement - doivent être utiles pour le pays. La situation nous l’ordonne.
Certains, notamment autour de Rachida Dati, rappellent votre ancrage savoyard et vous reprochent d’être un « parachuté »…
Cela fait plus de vingt-cinq ans que j’ai quitté, volontairement, mes fonctions en Savoie. La toute dernière élection à laquelle j’ai participé, c’est le scrutin européen de 2009, où j’ai conduit la liste UMP en Île-de-France à la demande du président Sarkozy. Nous l’avons d’ailleurs remportée, en recueillant près de 30 % des suffrages - et avec Rachida Dati comme deuxième de liste. Depuis plus de quinze ans, j’ai largement eu le temps de replier le parachute…
La ministre de la Culture voit derrière votre candidature une manœuvre déguisée pour briguer la mairie de Paris, qu’elle vise elle-même depuis longtemps. Est-ce le cas ?
Non, et Rachida Dati le sait. Je le lui ai dit et je l’ai même écrit encore cette semaine aux adhérents Les Républicains de ces trois arrondissements. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. Je ne suis pas candidat à autre chose qu’à la députation et je suis prêt, évidemment, à aider et soutenir de toutes mes forces l’équipe qui sera choisie pour les municipales à Paris par LR et, je l’espère, d’autres formations dans un esprit d’union, afin de créer les conditions de l’alternance. Je pense que mon soutien pourrait être utile. Mon engagement dans la 2e circonscription de Paris est, en réalité, complémentaire de l’ambition qu’a Rachida Dati de mener cette liste de rassemblement. Chacun doit bien le mesurer.
Rachida Dati a expliqué qu’elle serait « quoi qu’il arrive » candidate à la législative partielle, donc contre vous. Que lui répondez-vous ?
J’ai choisi, par tempérament et par habitude, de ne pas faire de polémique, ni avec Rachida Dati, ni avec qui que ce soit. Je veux que les Parisiens puissent voter pour plutôt que contre quelqu’un. C’est à Rachida Dati, qui a une ambition légitime pour animer des listes d’union à Paris, de ne pas se tromper et de choisir le bon chemin vers cette unité.
Est-ce un premier pas vers 2027 ? Beaucoup vous soupçonnent d’avoir des ambitions élyséennes…
J’ai toujours dit que je serai présent dans le débat public en 2027, pour l’échéance présidentielle et lors des législatives qui suivront. Il ne nous suffira pas d’avoir un nouveau et un bon chef de l’État ; il lui faudra une majorité absolue, ouverte mais absolue, pour œuvrer. De ce point de vue, je serai évidemment concerné comme député, si je suis élu par les Parisiens dont je solliciterai le suffrage, et au minimum comme citoyen engagé.
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