Michel Barnier : « Il faudra en revenir au peuple »
Pour l’ancien Premier ministre, si les blocages politiques persistent, il faudra que les Français puissent se faire ré-entendre « : un référendum, une élection présidentielle ou des législatives ».
L’ancien Premier ministre Michel Barnier, qui vient de publier « Ce que j’ai appris de vous » (Calmann-Lévy), compte bien « prendre sa part » dans le débat qui s’ouvre avant la prochaine élection présidentielle.
Comprenez-vous l’attaque israélienne sur l’Iran ?
Cela fait une vingtaine d’années que l’Iran joue au chat et à la souris avec la communauté internationale sur son programme nucléaire militaire, et cette option militaire a toujours existé, même si ça n’a jamais été celle privilégiée par les Européens et les Américains. Ce doit être le dernier ressort, qu’après avoir épuisé toutes les voies diplomatiques. Est-ce qu’en l’occurrence, toutes les voies diplomatiques ont été épuisées ? Ce n’est pas sûr. Il y a encore quelques jours, l’administration de M. Trump redisait sa disponibilité pour des négociations. Donc, Israël a pris une responsabilité importante. Il faut désormais contenir les risques d’escalade et protéger nos ressortissants et nos intérêts dans la région.
Emmanuel Macron envisage de reconnaître un État palestinien. C’est une bonne chose selon vous ?
La stabilité de cette région, incluant la sécurité à long terme d’Israël, exige une solution à deux États. Donc oui, un jour, il faudra un État palestinien. Quelles en sont les conditions ? D’abord, que tous les otages détenus par le Hamas soient libérés, que les corps de ceux qui sont morts soient rendus. Deuxièmement, que le Hamas soit hors d’état de nuire. Troisièmement, que l’Autorité palestinienne soit réformée. La reconnaissance d’un État palestinien paraît aujourd’hui, au regard de ces conditions, prématurée. Ce sera un symbole qui risque de ne pas apporter grand-chose.
Vous avez dit récemment êtes « prêt à servir votre pays ». C’est-à-dire ?
L’élection présidentielle doit être l’occasion d’un débat d’idées, de projets. J’y prendrai ma part. Il faut se fixer un objectif ambitieux et possible : celui que la France redevienne d’ici dix ou quinze ans la première puissance européenne. Et qu’à l’intérieur de notre pays, fragilisé actuellement en raison de l’immobilisme et d’un profond sentiment d’impuissance publique, on retrouve une capacité d’agir. Il faut revenir aux priorités fondamentales du rôle de l’État, c’est-à-dire assurer la sécurité, intérieure et extérieure, et promouvoir la prospérité de ses citoyens. Pour cela, il faut qu’il n’y ait plus d’impunité pour les gens qui cassent tout, qui attaquent policiers, gendarmes, pompiers, enseignants… La place de ces gens est en prison. Il faut des peines courtes immédiatement applicables dans des établissements spécialisés.
Emmanuel Macron, sur ce sujet de l’insécurité, regrette un certain « brainwashing » des politiques. Est-il coupé de la réalité ?
Il faut être lucide et cohérent. Donc, ne pas nier la réalité que vivent les Français, sur l’insécurité ou sur l’entrisme islamiste, par exemple. Quinze jours plus tôt, le président reprochait que le gouvernement n’ait pas de mesures à la hauteur sur ce phénomène qui mine gravement la cohésion nationale.
Gérald Darmanin, qui veut une grande réforme pénale, suggère la suppression des aménagements automatiques de peine et la fin du sursis. Qu’en pensez-vous ?
J’avais moi-même plaidé pour qu’on réforme en profondeur la justice. Je ne suis pas favorable personnellement à la suppression du sursis. Je pense qu’il faut garder pour les juges une forme de progressivité des peines. En revanche, je pense qu’il faut mettre fin aux aménagements automatiques de peine dans un objectif de réinsertion. Et surtout que les peines soient exécutées, qu’elles soient dissuasives et permettent de lutter contre le sentiment d’impunité. Et au-delà du volet répressif, bien sûr, un effort dans l’Éducation nationale sur les valeurs de respect de l’autorité.
Faut-il interdire les écrans aux moins de 15 ans, comme le veut Emmanuel Macron ?
Est-ce vraiment ça le problème principal en lien avec la violence des mineurs ? Et est-ce que c’est applicable ? Attention aux effets d’annonce.
François Bayrou doit trouver 40 milliards d’euros d’économies. Est-ce que c’est faisable ?
Ce n’est pas seulement faisable, c’est aussi nécessaire. La marche est un peu plus haute pour éviter la perte de souveraineté financière de la France parce que l’on part d’un budget de 2025 qui ne fait pas tous les efforts que j’avais recommandés fin 2024.
Comment y arriver ?
On y arrive en ayant du courage et du temps.
Est-ce que François Bayrou en a ?
Je ne vais pas commenter : j’ai déjà été dans cette position de Premier ministre avant lui avec des partis politiques, à l’extrême droite et à l’extrême gauche, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux et qui, pour des raisons idéologiques et politiciennes, m’ont fait tomber. Est-ce que les circonstances sont différentes ? Je l’espère pour la stabilité du pays.
Peut-on trouver 40 milliards d’euros uniquement par des baisses de dépenses publiques ?
Moi, j’avais proposé un effort de 60 milliards d’euros, dont deux tiers par une diminution des dépenses et un tiers par une augmentation temporaire et ciblée de certaines recettes. Je ne crois pas qu’on puisse encore augmenter les impôts alors que la France est déjà le pays le plus taxé de l’OCDE.
Qu’est-ce que vous recommanderiez à François Bayrou de faire concrètement ?
Je ne veux pas être et avoir été. Je dis juste que la priorité doit porter sur la réduction des dépenses sociales, des collectivités locales et de l’État. Il faut mieux utiliser l’argent public. Dans la panoplie des mesures qui doivent être prises, il y a la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale. Je pense qu’il faudrait procéder, sur cinq ans disons, à un changement complet de toutes les cartes Vitale dans le pays parce qu’il y a plus de cartes Vitale que de citoyens en France. Il faudra donc associer la carte d’identité biométrique et la carte Vitale en une seule carte lors des renouvellements.
Est-ce que vous pensez que François Bayrou peut échapper à une censure sans faire trop de concessions ?
Je souhaite que le Premier ministre réussisse à éviter l’instabilité. Mais si le prix à payer pour cela, c’est renoncer à l’objectif de réduction du déficit, ce ne serait pas dans l’intérêt général. S’il advenait que le courage manque ou que les partis politiques restent irresponsables et qu’une censure soit votée, je pense qu’il faudra en revenir au peuple.
C’est-à-dire dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale ?
Il y a trois possibilités d’en revenir au peuple : un référendum, une élection présidentielle ou des législatives. Le président de la République a la clé des trois.
Quelle option parmi les trois privilégieriez-vous ?
Je pense que la plus logique serait une dissolution. S’il y a un blocage parlementaire, s’il y a un refus de certains partis d’assumer leur responsabilité par rapport à l’état du pays, le peuple comprendrait une nouvelle dissolution, contrairement à celle de l’année dernière ou celle de Jacques Chirac en 1997. Une dissolution inexplicable que personne ne comprend, ça provoque toujours une réaction négative. En revanche, si la dissolution avait été possible quand moi, j’ai été censuré, je pense que ça aurait été intéressant que les députés du RN, de l’extrême gauche et du PS aillent expliquer aux électeurs pourquoi ils avaient fait tomber le gouvernement.
En cas de législatives anticipées, seriez-vous favorable à ce qu’il y ait des candidatures communes du « socle commun » (LR, Renaissance, Horizons, MoDem) dès le premier tour ?
Je continue de penser que les quatre formations du socle commun auront d’une façon ou d’une autre à travailler ensemble à la suite d’une élection législative ou de la présidentielle. Que tous ceux qui partagent un projet commun de redressement, d’unité, de lutte contre l’impuissance publique puissent travailler ensemble, c’est ce qui se passe dans la plupart des pays qui nous entourent. Mais coalition ne veut pas dire fusion, il y a des identités politiques qui doivent être respectées et je pense que la droite républicaine se trouve aujourd’hui au centre de gravité des aspirations d’une grande partie de nos concitoyens.
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