Guillaume Larrivé : « Pour un gouvernement d’urgence nationale »
Dans la pièce qu’il a consacrée à Beaumarchais, Sacha Guitry lui fait dire que « la France est à la veille d’une révolution. Le peuple la désire – il la voudra demain. Mais ce qu’il ne faudrait pas, c’est qu’il la fît lui-même. Elle serait trop horrible. Il faut donc se hâter de la faire avant lui. » Les Français de 2025 ressemblent à ceux de l’Ancien régime au couchant, tant les démangeaisons révolutionnaires s’en emparent alors que les dirigeants sont impuissants à satisfaire les attentes majoritaires.
En cette fin d’été, je puis témoigner de l’inquiétude qui grandit et de la révolte qui gronde dans des territoires qui, comme les petites villes et les villages de l’Yonne, sont paradoxalement si proches et si éloignés des centres de décision. Si l’impopularité des gouvernants, à une ou deux exceptions près, s’accroît jour après jour, c’est à mesure d’une conviction simple : ceux qui, là-haut, sont censés être au pouvoir ne parviennent pas à l’exercer vraiment, c’est-à-dire à agir sur une réalité qui paraît, désormais, échapper à leur contrôle.
Malheur français. S’il y a aujourd’hui un malheur français, sa nature est d’abord celle d’une intense crise politique. En écho à ce qu’écrivait le général de Gaulle en se faisant le mémorialiste de la IVe République finissante, les institutions semblent réduites à n’être, « une fois encore, qu’une scène pour la confrontation d’inconsistantes idéologies, de rivalités fragmentaires, de simulacres d’action intérieure et extérieure sans durée et sans portée ».
Tel ses devanciers des années 1950, « formés à force de compromis, battus en brèche de toutes parts à peine étaient-ils réunis, ébranlés dans leur propre sein par les discordes et les dissidences, bientôt renversés par un vote », le quatrième des gouvernements en place depuis 2024 n’aura pas tenu neuf mois. Nous le constaterons, à coup sûr, au soir du 8 septembre : dans une Assemblée nationale de bric et de broc, l’addition des minorités contraires sera provisoirement majoritaire. François Bayrou tombera sur une « question de confiance » perdue par un gouvernement pour la première fois depuis le 15 avril 1958, lorsque la chute de Félix Gaillard précipita l’agonie de la IVe.
Ainsi la crise politique n’est-elle pas loin de se transformer en une crise de régime. Est-il encore possible de l’éviter dans les semaines qui viennent ? Peut-être, mais à deux conditions que la démagogie ambiante ne permet pas de considérer comme spontanément acquises.
Démission. La première est celle du respect de l’institution présidentielle. Rappelons-le aux esprits échauffés ou trop pressés, qui feignent de l’oublier : le président de la République reste, jusqu’à la fin de son mandat dans vingt mois, le seul détenteur des prérogatives constitutionnelles que son élection au suffrage universel direct lui a conférées.
Il n’appartient à quiconque de lui contester le droit de les exercer jusqu’à leur terme. A cet argument juridique et politique évident s’ajoute une raison géopolitique qu’il serait fou de négliger à l’heure des grands prédateurs : improviser dans le plus grand désordre une élection présidentielle anticipée, c’est-à-dire jouer le sort de la France à coup de dés, ne serait pas la meilleure manière d’éviter à notre vieux pays le destin d’une proie.
La seconde condition est celle de la responsabilité des partis aspirant à gouverner un jour notre pays. En écrivant cette phrase aux allures d’oxymore, je devine que le lecteur échaudé lèvera des sourcils sceptiques. Précisons, donc, qu’il ne s’agit évidemment pas de demander aux partis de s’entendre sur un programme couvrant tout le champ de l’action publique. Il ne serait pas réaliste, non plus, de prier les différentes oppositions de renoncer à toutes leurs revendications, expressions et ambitions qui sont, par définition, légitimes dans ce que Raymond Aron appelait « un régime constitutionnel pluraliste ».
Dialogue. En revanche, est-il vraiment impossible de demander aux partis de ne pas empêcher le minimum minimorum gouvernemental permettant à la France de ne pas s’effondrer ? En dehors des sbires mélenchonistes, dont la logique néo-trotskiste est intrinsèquement subversive, et avec lesquels tout dialogue substantiel est absolument impossible, les partis politiques qui se veulent républicains ont le devoir de le prouver, en assumant une responsabilité commune : ne pas nuire à la France.
Par conséquent, l’ambition du moment doit être à la fois minimale et vitale. Un gouvernement d’urgence nationale, composé de personnalités solides ayant une expérience de l’Etat et du Parlement, devrait concentrer ses efforts en assumant deux priorités absolues (sans se disperser dans mille sujets de second ordre) : éviter la crise financière en construisant un budget raisonnable, respectant sincèrement les Français qui travaillent ; réarmer l’Etat dans ses fonctions régaliennes intérieures et extérieures.
Il appartiendrait alors aux partis composant environ les deux tiers de l’actuelle Assemblée nationale – de la gauche non mélenchoniste aux nationalistes –, non pas de tous participer au gouvernement, ni même de le soutenir, mais de ne pas multiplier les lignes rouges antagonistes et, par conséquent, d’accepter de ne pas le censurer tous les quatre matins.
Arbitrage. Parallèlement, chacun préparerait légitimement, au rythme prévu par la Constitution, le grand rendez-vous démocratique qui devra permettre, de manière ordonnée, dans moins de deux ans, dès 2027, de présenter aux Français des offres politiques concurrentes et de solliciter, ainsi, leur arbitrage. Ce serait là, collectivement, un grand service rendu à la France.
Saurons-nous, ainsi, dénouer la crise politique et déjouer la crise de régime ? Ce chemin n’est pas le plus probable puisqu’il suppose de hisser l’intérêt de la nation au-dessus de l’appétit des factions. Mais il n’est pas totalement impossible, n’en déplaise aux incendiaires cyniques et impatients qui n’ont d’autre projet que de prospérer sur les cendres – et qui oublient combien le jugement de l’histoire est cruel pour les démagogues qui, en vérité, ne font que mépriser le peuple français en lui promettant monts et merveilles.
Ne désespérons pas de la politique. Si elle est souvent médiocre, avachie et stérile, elle peut aussi être féconde. « Cette époque est la nôtre et nous ne pouvons vivre en nous haïssant » : avec ces mots de Camus, je veux encore croire qu’il reste des hommes et des femmes de bonne volonté capables, malgré tout, d’éviter que la France ne se défasse.
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