Guillaume Larrivé : « La nef des fous »
Des trésors que n’ont pas volés les montes-en-l’air du Louvre, le tableau de Jérôme Bosch, vieux de plus de cinq siècles, est peut-être celui qui dépeint le mieux la situation politique de la France contemporaine. Comme dans La nef des fous, de pauvres hères sont embarqués sur un esquif sans voile ni gouvernail. Un rire mauvais s’en empare. Bientôt, si la France continue à s’abandonner, on n’entendra plus que le ricanement des désespérés.
Voilà longtemps que nous étions prévenus. Car ce n’est pas hier matin seulement que le pouvoir politique a abdiqué, en se contentant de faire semblant d’exister. Notre pays décroché depuis le début du siècle, c’est-à-dire depuis au moins une génération, à mesure que les gouvernants se sont globalement vautrés dans l’impuissance, faute de traiter avec constance les causes du malheur français. Celles-ci, pourtant, sont bien connues.
D’abord, l’obésité de l’Etat social a été payée à crédit, dans une proportion si forte que la dépendance financière est devenue l’ennemie de la souveraineté. Car le social-étatisme est un mendiant vindicatif qui affaiblit les facteurs de production, les accable d’impôts, obère l’investissement et détruit l’innovation.
Cette déchéance, en outre, empêche nos médiocres émissaires, dans les instances européennes et ailleurs, de défendre sérieusement nos intérêts en assumant vigoureusement un rapport de forces dont ils sont désormais incapables : dans la novlangue de ce qui reste du Quai d’Orsay, on cherche des « affinitaires » et on pratique des « bougés », sans avouer que l’on capitule chaque jour devant plus fort que soi.
Parallèlement, l’idéologie de l’Etat de droit a abîmé le droit de l’Etat, au point que l’impossibilisme juridique en est venu à annihiler le volontarisme politique. Tandis que nos libertés sont chaque jour entravées par des normes paralysantes, qui sont frénétiquement inventées à Paris ou lâchement consenties à Bruxelles, le coeur régalien de l’Etat est atrophié par des jurisprudences incapacitantes, qui empêchent de respecter les frontières et de réprimer le crime.
Impuissance. Et comme si l’impuissance publique n’était pas assez installée au sein des institutions politiques, la délibération et la décision démocratiques sont elles-mêmes fragilisées par ce que devient la communauté des citoyens.
D’une part, l’accélération d’une immigration non assimilée, très éloignée de notre civilisation judéo-chrétienne et laïcisée, mais néanmoins juridiquement admise dans la nationalité française, modifie substantiellement les contours du corps électoral.
D’autre part, l’effondrement de l’éducation nationale prépare des individus diminués, qui seront des citoyens peu éclairés : privés de la culture générale qui seule permet le discernement, envahis par des écrans hypnotiques, quand ils ne sont pas décervelés par la toxicomanie ou manipulés par l’islamo-gauchisme, ils seront pourtant appelés à voter dans les années qui viennent.
Ce paysage dévasté s’est encore aggravé cet automne, tandis que le sixième président de la Ve République a dû afronter l’épreuve infamante du cachot. J’étais à ses côtés, au petit matin du 21 octobre, parmi les amis rassemblés alors qu’il partait pour la Santé. On aurait tort de sous-estimer la force dévastatrice d’un tel évènement, aux relents régicides.
Au-delà même de la violence subie par un homme, et de la dignité sans pareille dont Nicolas Sarkozy fait montre, il est bouleversant que l’Etat embastille ainsi celui qui fut son chef et qui, au regard du jugement de l’histoire, ne mérite en rien l’ignominie qui le frappe.
Dissimulation cynique. Comment ne pas voir que, jour après jour, nos institutions se craquellent ? La nef des fous s’emplit et déborde. Si des fantoches gigotent encore sur la scène politique, ils ne font que bredouiller des mots dénués de sens. De ce point de vue, la déclaration de politique générale prononcée le 14 octobre par le Premier ministre a été spectaculaire. Non sans un certain talent dans la dissimulation cynique, Sébastien Lecornu n’a pas rougi en osant citer Michel Debré – et le fameux discours d’août 1958 présentant les fondements constitutionnels de la Ve République – au moment même où il en abjurait les principes et renouait avec ce que Tardieu, au temps de la IIIe agonisante, dénonçait comme « la politique du chien crevé qui suit le fil de l’eau ».
Sous les grands airs du « sens de l’Etat », les excellences ministérielles peinent à dissimuler ce qui n’est qu’un petit intérêt de carrière. Quant à la « stabilité » promise et tant vantée, c’est le mot poli qui travestit l’obsession de ne surtout pas revenir devant le suffrage universel au motif que le peuple pourrait mal voter.
C’est ainsi, sans vergogne, que le premier secrétaire du Parti socialiste a été intronisé comme une sorte de vice-président du Conseil : Olivier Faure dicte désormais à Matignon les chiffres et les lettres du chéquier de la non-censure. Puisque l’article 49 alinéa 3 a été rangé au grenier, les lubies du PS sont les nouvelles tables de la loi.
Tout se passe comme si le projet ultime du post-macronisme à l’agonie était de faire advenir le socialisme dans un seul pays, qui se trouve malheureusement être le nôtre. Chacun l’a bien compris pour ce qui concerne l’économie et les finances : le lâche abandon de la réforme des retraites et la délirante créativité fiscale du Palais Bourbon feront bientôt passer le gouvernement Mauroy de 1981 pour un parangon de libéralisme à tendance austéritaire.
Mais le renoncement est tout aussi tragique au plan régalien. La vérité est que, sous l’apparence d’un technicien de la chose policière et préfectorale, le socialisme le plus classique (et qui n’est pas le moins sectaire) a repris ses quartiers Place Beauvau. Je puis personnellement en témoigner, puisque j’ai choisi de démissionner de la présidence de l’Office français de l’immigration afin de ne pas être complice d’une politique immigrationniste que je crois profondément contraire à l’intérêt national.
Aucune rupture avec le carcan juridique et diplomatique qui empêche la France de réduire l’immigration ne sera décidée. Aucun effort opérationnel sérieux ne pourra être engagé pour baisser drastiquement le nombre de visas et augmenter significativement celui des expulsions. Aucune réforme rigoureuse (AME, conditionnalité des aides sociales…) ne sera conduite. Par conséquent, ce gouvernement d’abandon ne fera qu’aggraver le chaos migratoire.
Tout cela sera sanctionné par le peuple français, peut-être plus vite qu’on ne le pense, car la majorité nationale est à droite. Dans les quelques mois qui viennent, saurons-nous préparer sérieusement l’après-Macron, sans céder à l’illusion facile d’un nouveau Prince, mais en restaurant un pouvoir légitime et capable d’action ? J’aimerais encore croire que, dans le tréfonds de notre vieux pays, il reste suffisamment de bon sens et d’espérance pour nous libérer de la nef des fous.
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