François-Xavier Bellamy : « L’Europe a renoncé à toutes les conditions de la liberté »
L’eurodéputé, chef de file des Républicains au Parlement européen, estime que l’accord douanier entre l’UE et les États-Unis est « la conséquence d’un long sommeil stratégique ».
François-Xavier Bellamy n’en veut pas tant à Donald Trump de nous avoir imposé un accord « déséquilibré et humiliant » ; il en veut davantage à l’Union européenne d’avoir été trop paresseuse, renonçant à « assumer le prix de sa sécurité et de sa souveraineté » et préférant « s’abriter derrière l’Amérique ». C’est parce que nous sommes faibles que Trump peut se permettre de nous maltraiter. Et de citer Périclès pour résumer le choix politique fondamental qui se pose à nous : « Se reposer ou être libre. » Le professeur de philosophie nous dit également ce que cet « accord » – qu’il préfère nommer « tribut » – dit de nous. Il revient aussi sur la déclaration de guerre de Rachida Dati à Michel Barnier et sur l’emballement provoqué par la loi Duplomb.
« Nous ne comptons plus dans la partie qui se joue », écrivez-vous, sur votre compte X, à propos de l’accord commercial sur les droits de douane entre l’UE et les États-Unis. Que voulez-vous dire ?
Cet « accord » n’est pas le vrai problème : il est le symptôme d’un mal bien plus profond. On peut commenter autant que l’on veut ces engagements déséquilibrés et humiliants pour l’Europe ; l’essentiel est de remonter aux causes. Depuis des décennies, les pays européens ont renoncé à assumer le prix de leur sécurité et de leur souveraineté, en préférant s’abriter derrière l’Amérique, et construire leur modèle de société sur ses infrastructures et ses innovations. Nous ne sommes plus des alliés, mais des vassaux. Et il n’est pas de suzerain qui n’exige un jour son tribut…
Partagez-vous alors les mots de François Bayrou sur une Europe qui se serait résolue à la « soumission » ?
À condition de comprendre d’où elle vient. Périclès résumait ainsi le choix politique fondamental : « Se reposer ou être libre. » L’Europe, et la France en particulier, a collectivement choisi le confort au détriment de la puissance. Ce que révèle cet accord, c’est la conséquence d’un long sommeil stratégique. À la veille de la crise de 2008, le PIB américain était inférieur à celui de l’Europe. En vingt ans, il a crû 80 % plus vite… Nous avons renoncé au travail, à l’innovation, au risque, à toutes les conditions de la liberté. C’est l’affaiblissement de l’Europe qui permet à Washington de lui dicter ses conditions.
L’accord commercial n’a donc pas uniquement, selon vous, une portée économique ?
On ne peut comprendre l’accord commercial sans cette vulnérabilité géopolitique. Comme rapporteur du programme sur l’industrie de défense européenne, j’ai vu de près combien certains États membres sont paralysés par la peur de perdre la protection américaine. Beaucoup ont poussé la Commission à se coucher pour éviter toute rupture avec Washington. Leur enjeu est de préserver, à tout prix, un bouclier militaire que nos pays ont préféré longtemps éviter de financer eux-mêmes. Les États-Unis reprochent aux Européens d’être les passagers clandestins de leurs budgets de défense. Il est urgent de sortir de cette dépendance toxique, mais cela prendra du temps, même pour la France.
On a donc péché par naïveté ?
Et surtout par paresse… En rêvant des « dividendes de la paix », nos pays ont déserté l’effort régalien pour financer un État social au-dessus de leurs moyens. Trente ans après la chute du mur de Berlin, nous ne sommes clairement pas prêts à affronter le retour brutal des rapports de force dans les relations internationales.
Philosophiquement, qu’est-ce que cet accord dit de nous, Européens ?
Au lendemain des conflits du XXe siècle, l’Europe s’est réunie autour du refus des logiques de puissance. Seul le droit devait régner. Mais le droit n’est rien sans la force… Nous devons retrouver l’instinct et les moyens de la souveraineté. Sinon, nous continuerons de subir. Parmi les dirigeants qui s’indignent de cet accord, beaucoup devraient commencer par assumer leur responsabilité dans les décennies qui ont conduit à cette faiblesse collective.
C’est particulièrement vrai de la France. L’Europe décroche dans le monde, et la France dans l’Europe… Pas étonnant que notre pays ait peu compté dans cette négociation : en 2023, l’Allemagne affichait un excédent commercial de 93 milliards d’euros avec les États-Unis ; l’Italie, un excédent de 51 milliards. La France ? Un déficit de 4 milliards. Notre stabilité économique d’aujourd’hui n’est indexée que sur la solidité relative de nos voisins : il est logique qu’ils écoutent assez peu quand Paris prétend leur donner des leçons. Les Français qui veulent encore travailler et entreprendre tentent de survivre au poids d’une réglementation et d’une fiscalité étouffantes : une telle situation ne peut conduire qu’au discrédit et au déclin.
Le plan présenté par François Bayrou il y a deux semaines peut-il inverser cette trajectoire ?
Il a le mérite de poser un diagnostic clair sur la dette. Mais les réformes nécessaires seront bien plus profondes. Regarder lucidement cette crise, c’est aussi un vrai motif d’espérance : la première menace pour notre pays n’est pas les tarifs américains… Nos problèmes sont dans nos mains. La vraie réponse à la surenchère fiscale imposée par Trump, c’est de commencer par réparer tout ce qui dépend de nous, et de rendre à la France et à l’Europe l’esprit de liberté, de travail, de conquête, qui sera demain comme hier la condition de notre prospérité. Il n’y a pas de fatalité à l’appauvrissement collectif : la descente a été rapide, le rebond peut l’être aussi, à condition d’agir à temps et avec le courage qu’il faudra.
Rachida Dati a annoncé hier soir sa candidature à l’élection législative partielle dans la deuxième circonscription de Paris, malgré l’investiture de Michel Barnier par LR. La droite est-elle à l’aube d’une nouvelle guerre des chefs ?
Il faut absolument l’éviter. Les discussions sont encore en cours, notamment avec la présidente de la fédération de Paris, Agnès Evren, qui fait un travail exceptionnel. Les Français en ont assez des querelles de personnes : les enjeux européens et mondiaux sont bien trop graves pour que la politique reste plus longtemps une affaire de guerres d’ego.
La loi Duplomb, que vous avez défendue, suscite de vives critiques. Comment analysez-vous l’ampleur du phénomène ?
Le débat public dérive vers une déraison collective de plus en plus inquiétante. Nos agriculteurs, qui produisent une des alimentations les plus saines du monde, sont traités d’empoisonneurs. Des députés sont menacés parce qu’ils valident un produit autorisé dans les 26 autres pays européens avec l’accord de toutes les autorités sanitaires. Le vrai problème, c’est que des militants, parfois élus, parfois journalistes ou influenceurs, ont décidé de criminaliser l’acte même de produire. Ils parlent d’écologie, mais ils veulent la décroissance, en aggravant à chaque fois notre dépendance à une production importée qui menace gravement l’environnement et la santé… C’est ce contresens absurde qui alimente notre vulnérabilité stratégique. Le combat essentiel aujourd’hui, c’est de sauver la raison.
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