Bruno Retailleau : « Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron »
Son projet de “rupture”, le corpus idéologique des Républicains, l’union des droites, l’impasse du progressisme, la menace de Jean-Luc Mélenchon… Bruno Retailleau annonce la fin d’un cycle et se projette dans l’ère politique qui s’ouvre.
Le climat de violence exacerbée n’a jamais été aussi prégnant en France, au point que l’on peut craindre le développement d’un sentiment de résignation. Quelles sont ses causes ?
La moindre fête, le moindre événement sportif ou culturel devient un prétexte pour les barbares. La réponse sécuritaire existe. Elle est même massive. Malheureusement, la réponse pénale demeure trop faible. Nous avons abandonné la dissuasion.
Tout ce qui constitue non pas des faits divers mais des faits de société – lorsqu’ils se répètent, qu’ils ont un sens – est le fruit d’une longue évolution de choix politiques. On a déconstruit méthodiquement, méticuleusement, tous les cadres communs, tout ce qui peut nous lier : le respect qu’on doit aux autres, la notion d’autorité, la notion d’interdit, la notion de hiérarchie. Notre société permissive a accouché de cette fabrique de barbares.
Qui a engendré cette « société permissive » ?
La gauche soixante-huitarde très largement. Quelque part, les “déconstructeurs” ont gagné. Partiellement, puisque demeure aujourd’hui ce que j’appelle « la France des honnêtes gens ». Cette France qui ne casse pas, qui ne détruit pas, qui n’agresse pas. Cette France qui travaille, respecte nos lois et élève bien ses enfants. Cette France qui croit encore à la France. Qui en a assez que notre pays soit insulté, condamné à une pénitence perpétuelle. Cette France qui ne salit pas son histoire, qui ne déboulonne pas ses statues. Cette France qui veut que la France demeure.
Elle est silencieuse, pas tant parce qu’elle n’a rien à dire mais parce que les hommes et les femmes politiques n’en ont rien à faire, empêtrés dans leur politique du marketing. Ils ont découpé le peuple français en rondelles pour s’adresser successivement à des catégories. Ils ont fait le choix de s’adresser à des minorités plutôt qu’à la majorité nationale.
La droite n’a-t-elle pas aussi une part de responsabilité dans ce drame ?
La responsabilité principale, fondamentale, reste celle de la gauche. Mais la droite n’a pas toujours eu le courage de secouer le joug idéologique de la gauche. Elle s’est contentée d’être un peu plus sécuritaire que la gauche, un peu moins dépensière… et encore ! En clair, d’être un peu moins à gauche que la gauche, sans être vraiment la droite.
Comment améliorer la réponse pénale ?
En la changeant radicalement. Premièrement, il faut mettre un terme au droit à l’inexécution des peines que, dans les faits, nous avons créé, à travers les multiples aménagements et réductions de peines. Il n’est pas normal qu’il y ait tant de différences entre la peine encourue, la peine prononcée et la peine exécutée.
Deuxièmement, nous devons arrêter de donner aux mineurs un droit au premier, au deuxième, au troisième tabassage. Jusqu’ici, le choix collectif a été de dire : “La prison, c’est l’école du crime.” En réalité, l’école du crime, c’est la rue. Les jeunes y sont enfermés dans des parcours de violence et l’on constate souvent qu’un crime survient au bout d’une trentaine d’antécédents judiciaires.
Pour briser au plus tôt la spirale de la délinquance, il faut des courtes peines de prison dès les premières violences, dans des établissements spécifiques. Il faudrait pour cela abolir la loi Belloubet, qui proscrit ces courtes peines de prison.
La récente décision du Conseil constitutionnel, qui a censuré une partie de la loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants, va d’ailleurs dans le même sens. Elle revient à ce principe de l’ordonnance de 1945 qui priorise les mesures d’éducation.
Mais ce principe est dépassé, car les mineurs d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient il y a quatre-vingts ans. Par ailleurs, tous les parents responsables le savent : la sanction participe de l’éducation.
Le retaillisme demeure-t-il la promesse d’un grand bouleversement ?
Une seule maxime me guide : on ne se trompe jamais en disant la vérité aux Français. La crise de notre démocratie est aussi une crise de la parole publique. Elle ne porte plus. Elle n’agit plus parce qu’elle biaise, elle dissimule, elle euphémise. Nous sommes en bout de cycle. Il faut changer de modèle pour soigner les deux grands maux de la société française : le déclassement économique et la dépossession culturelle. Sur ces deux enjeux, nous devrons apporter des réponses de rupture.
Pour cela, il faut d’abord que le pouvoir reprenne le pouvoir : les grandes exigences communes, qui fondent la légitimité du politique, doivent l’emporter sur l’empire des droits individuels, qui bloque tout, notamment sur le régalien. C’est parce que l’État est trop souvent empêché dans le domaine du régalien qu’il s’ingère dans le domaine du citoyen, par la norme absurde. L’État bureaucratique, c’est celui compense son impuissance par les tracasseries administratives, par les petites choses, un État qui immobilise et qui infantilise.
L’État de droit est-il devenu une « tracasserie » ?
Je suis attaché à l’État de droit, qui est un cadre juridique nécessaire contre l’arbitraire. Mais certains veulent aujourd’hui en faire un cadre idéologique. Ils font dire aux lois ou aux traités ce qu’ils ne disent pas. Il faut réconcilier l’État de droit et la souveraineté populaire. D’où ma proposition d’un référendum sur l’immigration.
Vous avez été élu président des Républicains après une victoire écrasante. Pourtant, l’organigramme comporte de vieux chevaux de retour. La rupture dans le pays ne commence-t-elle pas dans son propre parti ?
Demain, il faudra rassembler les Français. Cela commence par rassembler sa propre famille politique. La faiblesse de la droite, c’est vrai, venait de sa cacophonie. Depuis le ralliement d’Éric Ciotti à Marine Le Pen, il y a un an, le parti s’est mis totalement à l’arrêt. J’ai trouvé un parti en catalepsie. J’ai composé une équipe dirigeante resserrée, profondément renouvelée. Il faut encore tout remodeler ; ce travail prendra quelques mois, jusqu’à la rentrée.
Jean-François Copé, qui plaide pour une alliance avec le centre, Florence Portelli, qui dénonce votre plan sur l’énergie… Cela ressemble un peu à de la cacophonie, non ?
Je vous rassure : il n’y aura qu’une seule ligne, assumée. Si certains cadres venaient à entretenir la polyphonie pour pousser un petit cri existentiel et jouer leur propre partition, ils n’auront alors plus leur place dans l’équipe dirigeante.
Le nom Les Républicains restera ?
J’envisageais de le modifier, mais les progrès électoraux de ces derniers mois semblent écarter cette question.
Laurent Wauquiez dit vouloir rassembler la droite « de Gérald Darmanin à Sarah Knafo ». Reprenez-vous ce désir à votre compte ?
On ne rassemble pas par le haut mais par le bas. Je plaide pour l’union des électeurs de droite, pas pour “l’union des droites” en laquelle je ne crois absolument pas. La politique des petits accords partisans, je n’y crois pas. En revanche, pour l’emporter en 2027, nous devrons nécessairement réussir à convaincre tous les patriotes sincères, partis vers le Rassemblement national [RN] ou Emmanuel Macron à travers un projet de rupture.
Vous assumez vous inspirer de Nicolas Sarkozy en tant que ministre de l’Intérieur. Et en tant que chef de la droite ?
La campagne de 2007 restera comme la plus belle campagne menée par la droite depuis une trentaine d’années. C’était une politique de rupture assumée, sans considération de catégories sociales ou d’étiquettes politiques. Il s’est adressé directement au peuple français. Et il l’a séduit.
Comment expliquez-vous l’échec qui a suivi ?
La conquête du pouvoir est une chose. L’exercice du pouvoir en est une autre. Pendant la campagne de François Fillon, nous avions préparé l’action que nous mènerions en cas de victoire, semaine après semaine. Un mandat se joue dans les six à huit premiers mois. Il faut être prêt dès l’arrivée au pouvoir. Sans se disperser, avec une demi-douzaine de priorités. En agissant sur les trois leviers qu’offre la Constitution : la loi ordinaire et les règlements, les ordonnances et le référendum.
On dit souvent que l’exercice du pouvoir, toujours plus complexe et nuancé, tempère les volontés de rupture et de radicalité. Votre expérience à l’Intérieur recèle-t-elle un aspect émollient ?
Absolument pas. Je dirais même, à l’inverse, que ces derniers mois m’ont conforté dans l’idée que la volonté politique peut dessiner un chemin et modeler la réalité. Malgré les contraintes, nous obtenons déjà des résultats : la loi contre le narcotrafic, le durcissement du droit du sol à Mayotte, l’extension de la durée maximale en centre de rétention administrative à deux cent dix jours, la réforme de la “directive retour”, l’abrogation de la circulaire Valls… Tout cela va dans le bon sens, même si ce n’est pas suffisant.
Pourtant, Marine Le Pen se montre sévère à l’égard de votre bilan. Comment jugez-vous l’offensive du RN à votre encontre ?
Comme on dit chez moi, en Vendée : “Il vaut mieux faire envie que pitié.” Je suis devenu à la fois l’obsession de La France insoumise [LFI] et du Rassemblement national. C’est une bonne nouvelle.
Si mon action trouve un écho dans une partie de l’électorat RN, c’est parce que les Français comprennent qu’on n’efface pas un demi-siècle de laxisme avec des postures politiciennes, en claquant des doigts, en changeant constamment de programme et en postant des photos sur TikTok, comme le font Jordan Bardella et Marine Le Pen. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais certainement pas une absence de constance et de cohérence.
Pourquoi, selon vous, Marine Le Pen refuse-t-elle de se dire de droite, alors même qu’une majorité de son électorat se reconnaît dans cette étiquette ?
Parce qu’elle ne l’est pas, tout simplement. Marine Le Pen possède un hémisphère de gauche. Son programme économique est socialiste. Son groupe parlementaire s’est opposé à la réforme que je portais pour instaurer une contrepartie d’activité au RSA. Et le RN persiste dans son opposition à la réforme des retraites, malgré l’état de notre système par répartition. Avec LFI, il forme le cartel du déni. Il refuse de voir la réalité en face.
Quel signal a été envoyé par Nicolas Sarkozy en recevant Jordan Bardella ?
Nicolas Sarkozy est un grand affectif. Jordan Bardella a fait preuve d’une courtoisie louable en dénonçant le retrait de sa Légion d’honneur. Je n’y vois aucun message politique.
Serait-il un adversaire plus redoutable pour vous que Marine Le Pen dans l’hypothèse d’une candidature présidentielle ?
On ne gagne pas une élection présidentielle sur la faiblesse des autres. On la gagne sur sa propre force. Et le RN est une formation à part. Il y a, au sein de son électorat, une forme de substitution immédiate. Une fois la possible inéligibilité de Marine Le Pen admise, ses militants n’ont eu aucun mal à avaliser l’éventuelle candidature de Jordan Bardella. Mais les Français consentiront-ils à donner leur confiance à un candidat inexpérimenté ?
Craignez-vous que la prochaine élection présidentielle soit entachée d’une illégitimité démocratique si Marine Le Pen venait à être empêchée ?
Il y aurait eu une anomalie si elle n’avait pas pu bénéficier d’un appel et d’une seconde chance avant le scrutin. Son procès aura lieu dans un an.
À l’heure de la personnalisation absolue, les mouvements politiques présentent-ils encore un intérêt électoral ?
Les partis, à l’image des syndicats et de l’ensemble des cadres structurants de notre société, ont été profondément ébranlés par les bouleversements du XXe siècle. Ils ne représentent plus les mastodontes d’autrefois, mais ils restent des outils essentiels pour lever une force militante.
Un parti politique doit également être producteur d’idées nouvelles. Mais il ne doit pas enfermer un candidat à la présidentielle : on ne peut pas prétendre à la fonction suprême si on ne s’adresse pas à tous les Français et si on ne dessine pas une vision pour la France.
Votre rapport aux Français a-t-il évolué depuis votre arrivée au ministère de l’Intérieur ?
On découvre assez rapidement que le gouvernement vous expose, pour le meilleur et pour le pire. Les Français me découvrent depuis maintenant neuf mois. Je retiens ces mots qu’ils me glissent si souvent quand je vais à leur rencontre : « Courage ! » et « Ne lâchez rien ».
La droite est-elle par nature conservatrice ?
La droite doit porter une double aspiration pour les Français. Une aspiration matérielle : une prospérité nouvelle face à l’appauvrissement collectif et individuel. Et une aspiration immatérielle : cette idée, fondatrice de notre famille politique, qui veut que l’homme ne soit pas seulement un Homo economicus.
La richesse d’un peuple ne s’exprime pas uniquement à travers la consommation ou la croissance, mais aussi à travers un héritage à transmettre aux générations futures. Une histoire, un territoire, des racines.
Jaurès avait cette belle phrase : « À celui qui n’a plus rien, la patrie est le seul bien. » Pour la France des honnêtes gens, la défense de notre patrimoine culturel importe autant que la question matérielle. On ne veut pas devenir, demain, étranger chez soi. Je préfère ma demeure au village global, le familier à l’inconnu, la limite à la démesure.
Une partie de vos adversaires, même au RN, estime que vos convictions conservatrices peuvent vous desservir électoralement…
Tout le monde devrait s’accorder sur l’échec du progressisme et de l’émancipation radicale de l’individu. Le progressisme a détaché l’individu de la société. « Il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. » Tocqueville avait tout résumé, tout décrit. Il avait anticipé cette évolution radicale de la démocratie.
Face à cela, c’est à la droite de proposer un projet de société qui rompt avec les principes édictés par la gauche. Ce clivage, structurant dans notre histoire politique, est voué à reprendre sa place. La tripartition a introduit le fait minoritaire dans la Ve République. C’est un poison pour la démocratie, car elle supprime la possibilité d’une alternance.
Si le macronisme est un progressisme, faut-il en souhaiter la fin ?
Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron, tout simplement parce que le macronisme n’est ni un mouvement politique ni une idéologie : il repose essentiellement sur un homme. Je ne crois pas au “en même temps”, car il alimente l’impuissance.
Ma présence au gouvernement n’est pas une adhésion au macronisme, elle est seulement animée par une conviction profonde : seul l’intérêt de la France compte et si la droite ne prend pas ses responsabilités, la gauche mélenchonisée accédera au pouvoir.
Nous avons évité le pire. Et nous sommes utiles au pays, malgré les obstacles. Une droite utile, mais pas docile : c’est ce que je défends au gouvernement. Je n’y suis pas entré pour faire de la figuration mais pour peser, de tout le poids de nos convictions de droite.
Si les élections municipales donnaient lieu à des seconds tours RN/LFI, pour qui appelleriez-vous à voter ?
Pour éviter cela, j’appelle déjà à voter pour nos candidats de la droite ! Mais LFI est pour moi la première et la pire menace politique. Nous devons, d’une manière générale, assumer un cordon sanitaire contre La France insoumise. Grenoble, Nantes, Lyon, Strasbourg, Tours… dans toutes ces municipalités emportées par l’alliance des gauches, il faut que la droite soit au cœur d’un bataillon de choc le plus élargi possible. Nous ne pourrons pas gagner seuls.
Comment jugez-vous l’émergence de médias qui tentent de contrer la doxa dominante ?
J’ai vécu l’essentiel de ma trajectoire politique dans une période marquée par une uniformité médiatique en faveur de la gauche. C’était une domination totale, incontestable. Cette pluralité nouvelle m’apparaît comme un juste rééquilibrage. Mon action comme ministre de l’Intérieur aurait sans doute été bien plus compliquée il y a dix ou vingt ans.
Pensez-vous qu’une révolution des esprits est en train de s’opérer dans notre pays ?
Je suis gramscien. La politique, c’est le combat des idées. Pour gagner dans les urnes, il faut gagner dans les esprits. La droite est en train d’emporter cette bataille culturelle. Le résultat des dernières élections législatives est un trompe-l’œil : la France ne penche pas à gauche, mais résolument à droite. Charge désormais à nous de transformer cette victoire culturelle en conquête électorale.
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