Bruno Retailleau : « J’ai vu de mes yeux l’ensauvagement »
Ministre de l’Intérieur pendant un an et vingt et un jours, Bruno Retailleau revient pour le JDNews sur son passage à Beauvau. Désormais président à plein temps des Républicains, il appelle à rebâtir la droite autour des idées avant de désigner celui qui l’incarnera en 2027.
Que retenez-vous de votre passage à l’Intérieur – et qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?
J’ai souvent dit que l’Intérieur était un ministère en clair-obscur, et c’est vrai : il y a la part ténébreuse – la chronique, chaque matin, de l’abominable –, et la part lumineuse, celle de ces hommes et de ces femmes qui servent l’État avec un sens du devoir exceptionnel. Ils ne travaillent pas seulement pour un salaire, mais au service d’un idéal. J’ai aussi mesuré le contraste entre cet engagement et l’affaiblissement de l’autorité dans le pays. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la submersion de la France par la violence – notamment juvénile – et l’entrisme islamiste. Deux visages d’une même faillite : celle de l’autorité.
Quand le président dénonce ceux qui “brainwashent” les Français avec le récit de l’insécurité, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela révèle une volonté inquiétante, chez beaucoup de progressistes, de contrôler la parole publique. Comme si décrire la réalité devenait suspecte. Or, à Beauvau, j’ai vu de mes yeux un ensauvagement pire que ce que j’imaginais. Cette violence n’est pas une somme de fait divers : c’est un fait de société, avec des causes profondes et des conséquences durables.
Si vous deviez résumer votre action à Beauvau, quel en serait le fil conducteur ?
J’ai voulu faire bouger les lignes, bousculer les conformismes, réaligner les mots, l’action et la réalité. Car la crise démocratique est aussi une crise de la parole publique : à force de minimiser les faits, d’expliquer aux Français qu’ils ne voient pas ce qu’ils voient, qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent, la politique s’est discréditée. J’ai assumé de dire des évidences que plus personne n’osait dire : non, l’immigration n’est pas une chance en soi ; et oui, la naturalisation doit passer par l’assimilation.
Vous avez souvent évoqué l’Algérie. Qu’en retenez-vous ?
Nous devons défendre nos intérêts. C’est ce que les Français attendent de leurs dirigeants. Bien avant mon arrivée à Beauvau, suite à la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, la crise s’était accentuée entre nos deux pays. Pendant les JO, l’Algérie avait d’ailleurs cessé toute coopération sécuritaire alors que même la Russie avait continué à coopérer. Je rappelle également que le régime algérien a effacé le français de ses programmes scolaires, blacklisté nos entreprises, transformé notre territoire en terrain de jeu de sa politique intérieure, refusé de reprendre ses ressortissants dangereux, et emprisonné Boualem Sansal et Christophe Gleizes. Face à tout cela, il faut une ligne ferme, que j’ai défendue mais qui malheureusement n’a jamais été assumée, ni au quai d’Orsay, ni à l’Élysée. En réalité, la méthode ferme que je préconisais n’a pas été mise en place, malgré mes multiples demandes. Car la diplomatie des bons sentiments est un fiasco. Nos députés LR ont d’ailleurs voté à juste raison pour la résolution visant à dénoncer les accords de 1968 : ils offrent aux seuls immigrés algériens des privilèges qui n’ont pu lieu d’être et qui coûtent 2 milliards d’euros par an aux Français !
Quelles traces concrètes a laissées votre passage à Beauvau ?
Ma ligne n’était pas partagée à tous les étages de l’État, c’est vrai. Et sans majorité, on avance difficilement. Mais je suis parvenu à obtenir des résultats concrets. Sur le narcotrafic, par exemple, la grande loi que j’ai fait adopter produit déjà ses effets : elle permet de fermer les commerces qui trafiquent, d’expulser les trafiquants de leurs logements, d’éloigner les dealers des points de deal. J’ai aussi utilisé toutes les marges de manœuvre que m’offraient mes pouvoirs règlementaires : parce que j’ai supprimé la circulaire Valls, les régularisations ont baissé de 38 %. De même, avec les nouveaux critères d’assimilation que j’ai créés, les naturalisations ont diminué de 23 %. La France est également devenue le premier pays d’Europe pour les éloignements exécutés.
Votre départ s’est aussi joué sur la question des visas. Pourquoi était-ce pour vous une ligne rouge ?
Parce que c’était une question de cohérence et d’efficacité. Je voulais obtenir la compétence de plein exercice sur les visas. Il est impossible de reprendre le contrôle des flux migratoires si le ministère de l’Intérieur ne maîtrise que les sorties et jamais les entrées. Les éloignements sont les plus difficiles à exécuter : les personnes sont déjà sur le territoire, souvent sans papiers, parfois sans identité vérifiable. Et les laissez-passer consulaires dépendent du bon vouloir des pays étrangers. Pendant ce temps, la politique des visas reste pilotée par le Quai d’Orsay ! C’est absurde.
Vous dénoncez un système kafkaïen : à ce point ?
Oui. La France délivre à elle seule 26 % des visas en Europe, avec un nombre invraisemblable d’aberrations. Cet été, j’ai découvert que des visas étudiants avaient été accordés à des Palestiniens vraisemblablement choisis par le Hamas. J’ai vu des ambassades se féliciter d’en avoir délivré mille de plus sans aucune coordination avec l’Intérieur. Pire encore : un poste diplomatique du Sahel en a octroyé 8 000 sans en référer à personne. C’est inacceptable. D’autant qu’on fait semblant d’opposer immigration légale et illégale, alors que la plupart des situations irrégulières commencent par être parfaitement régulières : on entre avec un visa court séjour et on se maintient irrégulièrement.
Dans ces conditions, agir n’était-il pas devenu impossible ?
Pas impossible, mais très contraint. Sur les sorties, j’ai obtenu un résultat majeur : la modification de la directive « retour ». Jusqu’ici, les clandestins disposaient d’un délai de départ volontaire de 30 jours. Ils en profitaient pour disparaître.. Nous avons mis fin à cette absurdité. Il faudra désormais aller plus loin, en rétablissant le délit de séjour irrégulier. J’ai aussi négocié, au niveau européen, trois leviers de réadmission pour contraindre les pays non coopératifs à reprendre leurs ressortissants : le contingentement des visas, les droits de douane et la réduction de l’aide au développement. Mais tout cela reste de la régulation des flux. Le véritable enjeu, c’est deréduire les appels d’air. La France est l’un des pays les plus accueillants d’Europe, notamment en raison de la générosité de son modèle social. Il est urgent de supprimer l’AME pour la transformer en AMU, et d’imposer un délai de carence de plusieurs années avant qu’un étranger touche des aides sociales.
Au bout de six mois, ne vous êtes-vous pas heurté à l’impuissance du pouvoir ?
Je me le suis dit, oui, mais sans jamais renoncer. J’ai toujours cherché à obtenir des résultats malgré les obstacles. Mais sans nouveaux outils — la politique des visas, le délit de séjour, la remise en cause de certains droits automatiques —, on ne peut pas changer radicalement de politique. Et sans majorité parlementaire, on ne peut pas faire de grande loi. Je garde pourtant une conviction : il n’y a pas de fatalité. Avec la volonté politique, on peut renverser la table. La France n’est pas condamnée au chaos migratoire et sécuritaire.
Face à la réalité migratoire, parler d’assimilation n’est-ce pas devenu un vœu pieux ?
Justement : depuis combien d’années, y compris à droite, n’osait-on plus parler d’assimilation ? J’ai voulu briser ce tabou, en adressant une circulaire à tous les préfets pour rappeler que la naturalisation n’est pas un droit, mais une exigence. Le code civil est clair : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française. » Si l’immigration n’est pas une chance, devenir Français en est une : et cette chance se mérite. Pour moi, on n’est pas pleinement Français par le sol ni même par le sang : on l’est par le cœur. C’est cela, le sens profond de l’assimilation. Je note que le mot même n’est plus assumé au gouvernement.
Quand vous parlez d’assimilation, à quoi faut-il assimiler ? Et n’est-il pas déjà trop tard pour retrouver une unité culturelle ?
Je ne le crois pas. Ce sera même l’un des grands enjeux de 2027 : répondre à la double aspiration des Français. D’un côté, l’aspiration matérielle — vivre dignement du fruit de son travail ; de l’autre, l’aspiration immatérielle, existentielle même: protéger nos modes de vie, transmettre une culture, poser des repères. C’est à la droite de répondre à cette double aspiration, de « réformer ce qu’il faut et conserver ce qui vaut », pour reprendre la formule de Disraeli. On nous a imposé le multiculturalisme et, en son nom, on nous a sommés de renier nos héritages. Une majorité de Français veut rompre avec cela. Chaque peuple dispose de ce droit inaliénable de persévérer dans son être collectif. La classe politique doit l’entendre et le comprendre.
Vous voulez donc aussi « réassimiler » la classe politique à la France ?
Exactement. L’assimilation, aujourd’hui, est un problème à double face. Quand certains rejettent notre mode de vie, la réponse du politique consiste trop souvent à multiplier les repentances. La haine de soi ne fait ainsi qu’alimenter la haine de l’Autre, qui refuse d’autant plus de devenir un semblable que nous présentons la France comme un contre-modèle plutôt qu’un exemple. Il ne faut donc pas s’étonner de notre échec. A cette dépossession culturelle s’ajoute la dépossession démocratique.
Que voulez-vous dire par « dépossession démocratique » ?
A l’affaiblissement du peuple comme communauté culturelle s’ajoute celui du peuple comme acteur politique. Jamais la capacité du peuple à peser sur les choix politiques et donc sur son destin n’a été autant réduite. On vote, on alterne, mais rien ne change. Parce que le système politique s’est coupée de cette volonté populaire, et que le pouvoir a toujours moins de pouvoir : il est aujourd’hui contraint par des jurisprudences qui l’empêchent d’agir. C’est l’impossibilisme que j’ai souvent dénoncé. L’Etat de droit, qui est un cadre juridique, est en train de devenir un cadre idéologique : sur l’immigration ou la sécurité, des cours font une interprétation radicale des droits individuels au détriment de la protection de la société et des aspirations de la majorité. Je suis persuadé que l’un des grands enjeux de 2027 sera de réconcilier l’Etat de droit et la démocratie, c’est-à-dire la souveraineté du peuple. Concrètement, il faudra réviser la Constitution pour élargir la possibilité de recourir au référendum par exemple. Mais cela ne suffira pas, il faudra aller plus loin. J’ai d’ailleurs lancé un groupe de travail de constitutionnalistes pour rendre à la souveraineté populaire la place qu’elle mérite.
Sur quel autre terrain faut-il renverser la table ?
L’autre mal français, c’est le social-étatisme. Nous voyons depuis trois semaines un hold-up fiscal en bande organisée, avec une chasse déclarée contre tous ceux qui créent, qui entreprennent et qui embauchent. On reconduit la vieille illusion socialiste selon laquelle l’impôt est rédempteur ! Ce choc fiscal décourage le travail et appauvrit la France. Sortir du social-étatisme, c’est dire la vérité : on ne peut pas vivre mieux en travaillant moins. Les Français travaillent trois ans de moins que leurs voisins européens ; ils produisent donc moins. Le résultat est là, sous nos yeux, avec l’appauvrissement des Français : ¼ d’entre eux ont leur compte bancaire dans le rouge dès le 16 du mois. Pour masquer cet appauvrissement, l’Etat a distribué des chèques en bois et la dette a explosé, au point que dans deux ans, la totalité des recettes de l’impôt sur le revenu sera dévoré par le seul paiement de l’intérêt de la dette !
Comment sortir concrètement de ce modèle d’État-providence devenu obèse ?
En changeant de logiciel. L’État doit se reconcentrer sur ses missions essentielles et cesser de se dilater dans tous les domaines. Nous avons une fonction publique pléthorique et mal payée : l’intelligence artificielle doit permettre de gagner 7 à 8 % de productivité. Il faudra saisir l’occasion : 400 000 fonctionnaires partiront à la retraite dans les 10 ans ; on ne les remplacera pas tous. Il faut aussi revoir le statut : développer le contrat de droit privé, aligner le temps de travail public-privé, notamment dans les collectivités où certains sont encore loin des 35 heures. L’État obèse est devenu impotent. Son périmètre doit être réduit, son efficacité accrue.
Un État plus mince, soit — mais que devient l’État social ?
Il faut réformer en profondeur l’État social. Les retraites ? Introduire une part de capitalisation pour garantir le niveau des pensions. La dépendance ? Créer un modèle assurantiel, obligatoire mais solidaire, dès 30 ans, pour financer l’autonomie. La santé ? Sortir de la bureaucratie hospitalière: redonner la main aux médecins, au terrain, favoriser la coopération public-privé. Même chose pour l’assurance-chômage : réaligner nos critères sur les standards européens, tant pour la durée que pour les conditions d’indemnisation. L’idée, partout, c’est de privilégier la responsabilité sur l’assistanat. C’est ce que portent nos députés à l’Assemblée nationale, et c’est ce que nous porterons au Sénat.
Et du côté du travail, quelles réformes prioritaires ?
Le cœur du sujet, c’est de réconcilier compétitivité et pouvoir d’achat. En France, le travail paie mal. Pour plus des deux tiers des Français, quand ils ont une augmentation, ils donnent plus qu’ils ne reçoivent. Je proposerai un seuil de «zéro charges» : au-delà d’un certain revenu annuel, plus de cotisations ni pour le salarié, ni pour l’employeur. Ce qui est gagné, c’est du net. Ce système redonnerait de l’air aux classes moyennes, renforcerait l’attractivité du travail et la compétitivité des entreprises. C’est un moyen simple de récompenser l’effort plutôt que la rente.
Vous revenez souvent sur la productivité, un mot presque tabou en politique. Pourquoi ?
Parce que tout en découle ! C’est la productivité qui crée les salaires et la prospérité. Or la France décroche : depuis 2019, elle stagne, et le fossé avec les États-Unis vient presque entièrement de là. Relancer la productivité, c’est libérer les énergies : moins de normes, moins d’impôts, plus de formation et de recherche. Sans ce sursaut, il n’y aura pas de redressement. Notre doctrine est simple : travailler plus, dépenser mieux, produire à nouveau. Il faut retrouver le goût de l’effort, de l’innovation, de l’audace, de la liberté en somme.
Ces désaccords économiques ont-ils pesé dans votre décision de quitter le gouvernement ?
Évidemment. La suspension de la réforme des retraites, c’est une faute politique et économique majeure. Désormais, cette abdication fragilisera toute réforme courageuse mais nécessaire. Ce budget est la résurgence des vieilles lunes socialistes : une logique de rancune, presque de revanche, comme si la réussite des uns expliquait la pauvreté des autres. C’est un budget de punition, qui décourage ceux qui entreprennent, investissent et créent de l’emploi. Chaque succès y devient suspect, chaque réussite, coupable. Si j’avais encore été au banc des ministres le jour de la déclaration de politique générale du Premier ministre, j’aurais démissionné dans l’heure. Je le redis : en l’état, ce budget est invotable.
Vous êtes à un carrefour : ministre sortant, chef de parti, figure d’ordre. Quelle est la suite pour vous ?
On ne gagne pas dans les urnes sans d’abord gagner dans les esprits. Mon passage à l’Intérieur m’a permis d’identifier les blocages à lever — juridiques, économiques et culturels. Je veux forger et porter un projet puissant de redressement, qui réponde aux aspirations de la majorité nationale, qui est large. On croit parfois que l’électorat de gauche rejette l’autorité ou la réussite : c’est faux. Beaucoup partagent aujourd’hui ces valeurs. Je veux rassembler tous les patriotes sincères, qui croient encore à la France.
Votre départ a pris tout le monde de court. Qu’est-ce qui, concrètement, a provoqué la rupture ?
Je ne suis pas parti sur un coup de tête mais sur un désaccord de fond : alors que le Président de la République avait perdu les élections législatives, il reprenait la main sur Matignon, et l’orientation politique était claire : privilégier un accord avec la gauche. La suite a montré que j’avais raison car pour durer quelques mois, Sébastien Lecornu a tout lâché aux socialistes : l’abandon du 49,3, la suspension de la réforme des retraites, la foire aux taxes… J’étais entré au gouvernement, aux côtés de Michel Barnier, pour faire barrage à la gauche, pas pour faire sa politique. Donc je n’ai aucun regret.
D’autres affirment que c’était une querelle personnelle. Que leur répondez-vous ?
L’arrivée de Bruno Le Maire, co-responsable du « quoi qu’il en coûte » et de ses mille milliards d’euros, symbolise pour moi la déconnexion totale du pouvoir. Au moment même où l’on demandait des efforts aux Français, le gouvernement se resserrait sur une base purement macroniste, en rupture avec le vote législatif. Depuis des semaines, j’essayais de négocier une feuille de route claire, assumée, à droite. Mais le choix a été fait : parier sur la gauche, pas sur la droite. C’est là que tout s’est joué.
Et maintenant ? Quelle feuille de route vous fixez-vous ?
Reconstruire, patiemment et solidement. Trois rendez-vous nous attendent : les municipales, les sénatoriales et, bien sûr, la présidentielle. L’enjeu, c’est de rebâtir une base programmatique claire, enracinée dans les attentes des Français, pour qu’en 2027 la droite puisse à nouveau gagner et gouverner. Ma boussole, ce sont les idées, le fond et le temps long.
Les idées d’abord, puis la personne pour les incarner : comment ce choix se fera-t-il ?
Deux voies sont possibles. Soit une sélection naturelle impose une candidature — le temps, les sondages, la dynamique d’un candidat —, c’est l’idéal, mais c’est rare. Sinon, ce seront nos adhérents qui décideront. Les nouveaux statuts, adoptés à 97 %, leur en donnent le droit.
Dans les semaines à venir, j’engagerai la consultation de nos élus et de nos militants pour définir la méthode. Mon objectif est clair : qu’en 2027, la droite présente son candidat, soutenu par une base unie et un projet solide et crédible.
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