Bruno Retailleau : « J’ai la ferme intention de combattre le frérisme et l’entrisme »
Après son élection dimanche à la tête des Républicains, le ministre de l’Intérieur se confie au Parisien-Aujourd’hui en France. Il alerte sur la « menace frériste » et détaille sa feuille de route de nouveau patron de la droite.
Tout à la fois ministre de l’Intérieur et nouveau président de LR, Bruno Retailleau jongle avec les agendas. Ce mercredi 21 mai, il l’a commencé par une rencontre dès 8 heures au siège de LR avec Laurent Wauquiez avant d’enchaîner avec un Conseil de défense à l’Élysée consacré au rapport déclassifié sur « l’entrisme » des Frères musulmans. Cet homme pressé a pris le temps de répondre dans son bureau à Beauvau aux questions du Parisien-Aujourd’hui en France.
Vous dites que les Frères musulmans ont pour objectif d’appliquer la charia en France. Pourtant le rapport sur l’entrisme des Frères musulmans ne l’indique pas. Voire dit le contraire. Avez-vous des informations particulières pour aller aussi loin ?
Le rapport pointe très clairement la menace frériste de l’islam politique, de l’islamisme. Attention aux confusions, s’attaquer à l’islamisme, ce n’est pas s’attaquer à l’islam ni aux musulmans. Nos compatriotes de confession musulmane ont le droit d’exercer leur culte dans les conditions compatibles avec la République. D’ailleurs, ce ne sont pas les démocraties occidentales qui sont les plus dures avec la mouvance frériste, ce sont les pays musulmans. Le rapport parle d’une menace contre les principes de la République et sur notre cohésion nationale. Et caractérise l’entrisme par rapport au séparatisme. Le séparatisme souhaite créer une contre-société, l’entrisme souhaite modifier les règles de la société pour les acclimater à une lecture fondamentaliste de l’islam. Il est plus difficile à cerner. Il pratique la dissimulation et utilise les valeurs de la République pour les retourner. C’est un islamisme à bas bruit qui, par de petites avancées, essaie de modifier les règles. Depuis la création des Frères musulmans, en 1928, les objectifs sont les mêmes. Il s’agit bien de faire basculer la société tout entière vers un État islamiste, d’infiltrer des pans entiers de la société par l’éducation, le sport, le social et les prédications.
Quelles sont les actions concrètes pour contrecarrer cet entrisme ?
Ce mercredi, il s’agissait d’un premier Conseil de défense. Il sera suivi d’autres réunions sur le plan ministériel pour parvenir à un meilleur pilotage des informations et de l’action. Il nous faut de nouveaux outils et une nouvelle organisation plus coordonnée de l’État. Comme nous l’avons fait pour le terrorisme et pour le narcotrafic, nous mettrons en place un chef de file pour la communauté du renseignement avec la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) et la Direction des renseignements de la préfecture de police de Paris (DRPP). Le pôle juridique du ministère de l’Intérieur assurera un rôle de parquet administratif, en instruisant les dossiers pour documenter les dissolutions ou les entraves administratives que nous souhaitons mettre en place. Par ailleurs, il faut casser les écosystèmes financiers avec de nouvelles mesures. Comment se fait-il, par exemple, qu’après sa dissolution, Baraka City ait pu transférer ses actifs au Royaume-Uni ? Enfin, face à la stratégie de subversion et de dissimulation, il faut faire la transparence dans le débat public — c’est ce que nous faisons avec ce rapport — et former nos fonctionnaires et les élus.
Tendez-vous la main aux musulmans dans le même temps ?
Bien sûr. Ils sont nos compatriotes. Et l’islamisme défigure la foi sincère de ces compatriotes musulmans. Je veux qu’on avance sur la question des carrés confessionnels dans les cimetières, sur la question de la lutte contre les actes antimusulmans ou celle des aumôniers musulmans dans les centres pénitentiaires. Ces demandes émanent depuis longtemps des représentants de l’islam dans les territoires. Il est plus que temps d’y répondre.
Le rapport prône l’apprentissage de l’arabe dans les écoles. Et vous ?
À titre personnel, je considère que la priorité, c’est l’apprentissage du français. C’est une question d’assimilation et de cohésion nationale.
Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur a tendu en 2003 la main aux Frères musulmans à travers l’UOIF. Que s’est-il passé en vingt ans ?
Sans doute qu’à l’époque, on a pensé qu’à travers le Conseil français du culte musulman (CFCM), on pourrait réorganiser l’islam de France. En réalité, cela a été un échec. Puisque cet islam de France comptait des organisations radicales ou bien issues de l’islam consulaire. Par ailleurs, l’islam ne dispose pas d’un clergé structuré, comme d’autres religions. Donc, cette volonté d’organiser par le haut le culte musulman était vouée à échouer. Ma vision, c’est celle du Forum de l’islam de France (Forif), qui rassemble des représentants issus du terrain, de tous les territoires de la République.
Le 15 mars dans nos colonnes, vous évoquiez des informations qui démontreraient un entrisme islamiste dans le sport. Or, le rapport en parle peu. Qu’en est-il ?
Il y a des éléments du rapport qui resteront classifiés, pour des raisons de sécurité. Et nous avons énormément de remontées de terrain sur l’entrisme dans les associations sportives. Aujourd’hui, il y a des prières dans les vestiaires, ou des clubs où les filles ne sont plus admises. On recense aujourd’hui environ 130 clubs concernés par l’entrisme islamiste, représentant 70 000 licenciés, mais ce chiffre est sans doute très en dessous de la réalité.
Gabriel Attal veut créer un délit de communautarisme, ou interdire le voile chez les moins de 15 ans. Qu’en pensez-vous ?
Quand j’ai plaidé pour l’interdiction du voile pour les accompagnatrices dans les sorties scolaires, dans vos colonnes d’ailleurs, mes propos avaient fait polémique… Gabriel Attal a raison de poser la question du voilement des petites filles. Mais quand on édicte une règle, il faut être sûr de pouvoir la faire appliquer. Quant au délit de communautarisme, nous en avons déjà plusieurs : de séparatisme, de divulgation, d’entrave à l’enseignement et d’entrave administrative.
Quelles seront vos premières décisions de président de LR ?
La priorité, c’est de nommer une équipe. Je veux le faire en deux temps : dans un premier temps, une équipe opérationnelle et restreinte, puis dans un second temps, après avoir consulté, j’attribuerai les vice-présidences, les postes de secrétaires nationaux, les sièges au bureau politique et à la commission nationale d’investiture. Les deux autres chantiers, ce sont les municipales et le projet.
Qui intègre l’équipe opérationnelle ?
Je vais notamment nommer comme vice-président délégué François-Xavier Bellamy (chef des eurodéputés LR), comme secrétaire général Othman Nasrou (son ex-directeur de campagne).
Quelle sera la place de Laurent Wauquiez ?
Je lui ai proposé d’être vice-président (ce que dément Laurent Wauquiez). Ce que je comprends, c’est qu’il préfère se concentrer sur sa fonction de président du groupe à l’Assemblée. À ce titre, il sera associé dans toutes les instances dirigeantes, comme je l’étais d’ailleurs quand j’étais président du groupe au Sénat.
Vous souhaitez reconstruire la droite par les idées. Cela fait des années qu’elle dit ça. Qu’allez-vous faire ?
On va travailler tout simplement. La politique, c’est le combat d’idées. Il faut gagner dans les esprits avant de gagner dans les urnes. Je conduirai personnellement la construction de notre projet. Il doit porter la voix et les choix de la France des honnêtes gens.
Ce sera votre leitmotiv ?
La France des honnêtes gens, c’est la France de la décence, des gens qui travaillent dur, qui élèvent bien leurs enfants et qui croient en la France. C’est une France qui ne fait pas de bruit, qui ne casse pas, qui n’agresse pas, mais que les hommes et femmes politiques n’écoutent plus, et pour qui la vie est de plus en plus difficile. Je veux une école « méritocratique », un travail plus valorisé que l’assistanat, la restauration de l’autorité, moins d’immigration, une justice plus sévère. Car je veux que l’État se préoccupe plus des victimes que des coupables. Mais je souhaite aussi que l’on puisse parler des sujets sur lesquels on est moins identifiés, comme l’écologie et l’intelligence artificielle. Je pense enfin qu’on doit aussi porter une ambition sociale. Je pense qu’être français, c’est une affection mais c’est aussi une compassion. Aucune souffrance française ne doit nous être étrangère. Autant on doit être dur à l’égard de ceux qui vivent au crochet de la société, autant on doit tendre la main aux travailleurs pauvres, aux mères seules, à ces familles qui s’angoissent dès le 15 du mois.
Dominique de Villepin disait hier qu’il n’y a pas trop de différences entre vous et Marine Le Pen…
Dominique de Villepin parle bien, mais il parle comme l’extrême gauche. La droite qui parle comme la gauche, c’est tout ce que je dénonce, depuis des années. Entre nous et le RN, il y a plusieurs points de différence. Marine Le Pen a un programme économique socialiste. Pas moi. Mais ce qui est aussi fondamentalement différent, c’est que sur beaucoup de sujets, le RN a changé de lignes plusieurs fois. C’est un parti démagogique. Ce que je dis sur l’immigration ou le travail, l’école ou la dette, je le disais il y a plus de vingt ans.
Est-ce qu’il est possible d’être en même temps président d’un parti et membre d’un gouvernement qui ne porte pas toutes vos idées ?
Croyez-vous un seul instant que si les militants LR avaient désapprouvé notre participation au gouvernement, ils m’auraient donné une aussi large victoire ? Bien sûr que non. Celles et ceux qui m’ont élu ont fait preuve d’une maturité politique : ils savent très bien que, dans le quotidien, mon action rencontre des limites car nous n’avons pas de majorité parlementaire. Ils savent bien que l’on essaie de faire le maximum. Ce que nous faisons concrètement, c’est que, par nos prises de position claires, la droite contribue à façonner le débat public. Depuis sept mois, il tourne très largement autour de nos convictions, de la vision que l’on veut porter. Et ça, en politique, c’est fondamental parce que ça prépare le terrain pour demain. Être au gouvernement n’est pas synonyme de confusion. Je suis et je reste gaulliste. Pas macroniste. Mais la question de la participation de LR n’est pas tranchée à perpétuité : si jamais un jour nos convictions n’étaient plus respectées, tout comme l’idée qu’on se fait des intérêts fondamentaux de la nation, nous quitterions le gouvernement. Les choses sont claires.
Devenu président de LR, allez-vous être plus exigeant avec François Bayrou ?
Là encore, les choses sont simples : au gouvernement, nous sommes là aussi pour peser. Et les Français le voient : nous pesons. Plus la droite est forte, plus elle se fait entendre.
Vous avez dit que la droite LR aurait son étendard à la présidentielle. Et cela même si Édouard Philippe est candidat de son côté ?
J’ai une vision différente d’Édouard Philippe dans la mesure où lui voudrait rassembler de la gauche sociale-démocrate à la droite conservatrice. Je pense, moi, que ce mélange-là aboutit à l’immobilisme. On ne pourra pas reconduire le « en même temps ».
Vous êtes le bon candidat pour 2027 au vu des sondages ?
Les sondages sont souvent fugitifs. Pour se présenter à l’élection présidentielle, il faut un projet politique, une ligne claire, être vrai et constant. Lorsque nous aurons fait tout cela, vous me reposerez la question.
La présidentielle, Xavier Bertrand y réfléchit, Laurent Wauquiez n’a renoncé à rien… Vous leur dites quoi ?
Je leur dis qu’aujourd’hui, c’est le temps du collectif et du travail. Les ambitions sont légitimes, mais faisons attention à ne pas reproduire les erreurs du passé. La droite a trop souffert des querelles d’ego. Incarner, c’est bien, mais incarner quelque chose, c’est mieux.
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