Bruno Retailleau : « En l’état, le projet de budget est invotable »
En retrait depuis l’annonce du nouveau gouvernement, le patron des Républicains sort du silence et dénonce les concessions à la gauche tout en jugeant qu’un retour aux urnes devient inéluctable.
Nicolas Sarkozy a été incarcéré ce mardi. Quand lui avez-vous parlé pour la dernière fois ?
Je l’ai appelé lundi. Il est d’une résistance incroyable et sa combativité force l’admiration. Dans cette affaire, il y a un décalage particulièrement troublant entre l’absence avérée de financement illégal de sa campagne et la lourdeur de la peine prononcée. En outre, l’exécution provisoire vient ici dissoudre le principe de présomption d’innocence alors qu’il n’y a ni risque de fuite ni risque de trouble à l’ordre public. C’est cela qui choque de nombreux Français, au-delà de nos militants.
Comment observez-vous le débat budgétaire qui s’engage à l’Assemblée ?
Je veux être très clair en l’état, le projet de budget de l’exécutif est invotable par la droite, car le gouvernement veut faire payer aux Français les délires et les vieilles lunes socialistes pour s’acheter du temps ! Si les choses devaient en rester là, Les Républicains voteraient donc évidemment contre et ne s’interdiraient aucun débat, y compris celui de la censure. Mais je ne peux pas imaginer que les choses en arrivent là, car les députés et les sénateurs LR ne laisseront pas faire : nous nous battrons pied à pied pour rectifier la copie. Il n’est pas question de céder à tous les renoncements, d’aggraver tous les déclassements, et de renforcer l’appauvrissement de la France et des
Français.
Sébastien Lecornu a confirmé que la suspension de la réforme des retraites figurerait quoi qu’il arrive dans le PLFSS…
Ce signal est terrible. Pour l’avenir, il fragilise toutes les réformes ambitieuses et courageuses qui pourraient être remises en question, voire sacrifiées du jour au lendemain. Par ailleurs, cette suspension revient à nier la réalité démographique : il y avait jadis quatre cotisants pour un retraité, il n’y en a désormais plus que 1,6. Cette réforme est donc indispensable. Elle l’est pour les jeunes générations, afin de leur garantir une retraite décente. Elle l’est aussi pour notre pays car sans cette réforme, la France ne pourra pas fournir une quantité de travail suffisante pour renouer avec la prospérité.
N’auriez-vous pas été davantage entendu en restant au gouvernement ?
Au contraire ! Je me félicite d’ailleurs d’avoir provoqué une rupture immédiate en quittant le gouvernement, sans quoi j’aurais assisté, depuis le banc des ministres, à une déclaration de politique générale qu’un premier ministre socialiste aurait pu prononcer, mélange de laxisme budgétaire et de renoncements régaliens. J’aurais alors de tout façon immédiatement remis ma démission. Je ne suis pas sorti du gouvernement pour un conflit d’ordre personnel, mais sur un véritable désaccord de fond, pour deux raisons. D’abord, la composition resserrée du gouvernement sur un dernier carré macroniste reflétait une volonté du président de reprendre la main sur le gouvernement, malgré son échec aux dernières législatives. Ensuite, je n’avais rien à faire dans un gouvernement où la droite aurait été entravée. La déclaration de politique générale a montré que mon intuition était juste. J’en ai tiré la conclusion que j’étais allé au bout de ce que je pouvais faire au ministère de l’Intérieur.
C’est-à-dire ?
Ce ministère m’a passionné. Mais j’ai toujours dit que je n’étais pas là pour une place mais pour une mission. La preuve, personne, sous la Ve République, n’a usé de sa liberté gouvernementale comme je l’ai fait ces douze derniers mois. J’ai bravé l’autorité présidentielle chaque fois que je l’ai jugé nécessaire et cela m’a chaque fois permis de constater à quel point les choses étaient bloquées. Sur l’immigration, il est illusoire de vouloir maîtriser les flux en agissant uniquement sur les sorties. Je revendiquais le fait d’avoir la compétence exclusive sur les visas, pour pouvoir maîtriser aussi les entrées. À titre d’exemple, la France distribue à elle seule 26 % des visas en Europe, soit 900 000 de plus que l’Allemagne : c’est totalement déraisonnable. Force est de constater qu’au-delà des belles paroles pour me faire rester au gouvernement, le « en même temps » se resserrait autour de moi. Je n’avais plus les moyens de mener ma politique : j’en ai donc tiré les conséquences.
Comment expliquer que six ministres LR participent au gouvernement Lecornu 2 ?
Je considère que ceux dont vous parlez ne sont plus LR. Ils ne peuvent pas être la caution de notre famille politique au gouvernement, c’est pourquoi il doit y avoir et il y aura une sanction. Pas dans deux mois ou dans deux ans, mais dès ce mercredi soir lors du bureau politique.
Revoilà la droite en proie aux divisions…
Ces divisions sont le fruit de choix personnels. Mais une dilution dans le macronisme serait bien pire : ce serait un suicide collectif.
Si Rachida Dati est exclue, quel candidat LR pour Paris ?
Ce point devra être clarifié, avec la fédération de Paris. Nous n’avons qu’un seul objectif battre la gauche dans la capitale.
Il y a une claire scission entre votre ligne, soutenue par les sénateurs LR, et les députés Droite républicaine…
Mon rôle de président, justement, c’est de construire une ligne cohérente. Je me rendrai la semaine prochaine à la réunion de nos groupes parlementaires pour en discuter avec eux.
Y a-t-il une guerre larvée entre Laurent Wauquiez et vous ?
Pour faire la guerre, il faut être deux. Et je me sens d’autant moins rival de Laurent Wauquiez que les militants ont tranché la question : 75% d’entre eux m’ont élu président de notre mouvement. Je ne serai jamais celui qui alimentera les querelles personnelles. La guerre des ego, ça suffit.
Le programme de François Fillon en 2017 prévoyait 100 milliards de baisse des dépenses, un durcissement de l’assurance-chômage, la fin des 35 heures ou encore la retraite à 65 ans… Pourriez-vous reprendre tel quel ce projet ?
Les intuitions de 2017 étaient bonnes, car elles étaient basées sur une conviction dont nous voyons aujourd’hui l’évidence : la dépense ne fait pas la croissance. Le projet de la droite doit rompre avec le social-étatisme. Il faut arrêter avec la politique du chèque, sortir définitivement des 35 heures pour restaurer le pouvoir d’achat et la compétitivité. Par ailleurs, il faut en finir avec la bureaucratie qui multiplie les postes de fonctionnaires mal payés. Ce budget va créer 8500 postes supplémentaires dans la fonction publique, dont 4500 à l’Éducation nationale alors qu’il y a eu 109 000 élèves en moins dans le primaire pour cette rentrée. Je milite également pour qu’il y ait un seuil à partir duquel il n’y ait plus de cotisations, ni par l’employé ni par l’employeur, afin de rapprocher le salaire brut et le salaire net. Enfin, pour décourager l’assistanat, il faut réformer profondément notre système social, encourager les travailleurs et faire la chasse aux profiteurs. Concrètement, nous devons instaurer un compte social unique, pour plafonner les aides à 70% du smic. C’est en somme tout l’inverse du budget d’aujourd’hui qui au lieu du « travailler plus » choisit le « taxer plus » : la moitié de l’effort global sera réalisée par un grand coup de matraque fiscale, avec déjà 14 milliards de prélèvements supplémentaires.
Vous, député, auriez-vous censuré Sébastien Lecornu ?
Je ne suis pas député, mais j’ai exprimé très clairement mon opposition au discours de politique générale.
Alors, si Emmanuel Macron dissout, vous présenterez-vous aux législatives anticipées ?
Ma priorité désormais, c’est le parti. Dès la semaine prochaine, je commence un tour de France où systématiquement, je ferai une réunion avec les fédérations et j’irai à la rencontre des Français.
Est-ce le point de départ d’une campagne présidentielle ?
C’est un chemin qui ouvre tous les possibles.
La primaire à droite est-elle inévitable ?
Mon premier devoir, c’est la reconstruction de la droite. Si nous ne le faisons pas, il n’y aura de toute façon pas de candidat possible. Nous reparlerons de la présidentielle en début d’année prochaine.
Emmanuel Macron doit-il démissionner ?
D’une façon ou d’une autre, le retour aux urnes s’imposera. Ce sera alors au président de la République de décider comment : dissolution, démission ou référendum. Mais je n’associerai pas ma voix au chœur de ceux qui exigent sa démission. Car une démission forcée fragiliserait tous ses successeurs. Je rappelle que le général de Gaulle a décidé de démissionner en toute liberté, après avoir annoncé qu’il le ferait s’il était désavoué par le référendum de 1969. Mais il est évident que l’expression démocratique est frustrée. Au-delà de la crise politique que nous vivons, l’un des grands enjeux de la prochaine présidentielle sera de réconcilier la souveraineté populaire avec un État de droit qui est de plus en plus un cadre idéologique plutôt que juridique.
Que répondez-vous à Éric Ciotti qui prône l’union des droites ?
Je l’ai répété sur tous les tons : je ne crois pas à l’union des droites par les appareils mais par les électeurs. Marine Le Pen clame tout haut qu’elle n’est pas de droite et son programme économique n’est pas le nôtre : il est de gauche. Je suis intimement persuadé que LR a une place singulière qui correspond à la France des honnêtes gens. Je veux que les LR soient en situation de rassembler tous les électeurs de droite. Pour cela, il faut être visible, audible et crédible. Si la droite se compromet dans les calculs, elle est morte.
Comment allez-vous faire ?
Proposer de nouvelles idées pour nourrir un projet puissant, capable de rallier nos propres électeurs et ceux qui nous ont quittés pour rejoindre le RN ou Emmanuel Macron. Il faut libérer la société française parce que tout est bloqué. Face au grand empêchement, nous devons faire sauter trois verrous. Le verrou juridique, pour sortir de l’« impossibilisme » : il faudra une révision constitutionnelle pour, par exemple, rendre possible le référendum sur l’immigration. Le verrou économique, pour remettre le travail à sa juste place, qui doit être la première. Et le verrou idéologique, afin d’opposer aux déconstructeurs la force d’une école qui instruit, d’une République qui assimile, d’une civilisation qui s’assume. Évidemment, dans le chaos actuel, ce sont les ailes radicales qui émergent et c’est le grand reproche que je fais depuis 2017 à Emmanuel Macron. Mais, après le tripartisme, le clivage entre la droite et la gauche s’imposera à nouveau. Il va s’affirmer pour servir la révolution du bon sens, au service de tous les Français qui croient encore à la France.
Parmi cette majorité silencieuse qu’il faudra séduire, comptez-vous Alain Juppé qui vient de vous dire « ciao » sur un plateau de télévision ?
Dans cette période où la politique est très abîmée, je refuse de répondre à une petite phrase par une autre petite phrase. Je dirais simplement qu’entre l’identité heureuse d’Alain Juppé et l’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut, je choisis l’académicien.
Sur l’Algérie, votre successeur, Laurent Nuñez, semble avoir pris un virage à 180 degrés, prônant le retour du dialogue. Comment l’expliquez-vous ?
Sa tâche est suffisamment difficile pour que je ne la lui complique pas. Laurent Nuñez a été nommé pour appliquer la politique d’Emmanuel Macron. Je le redis : les naturalisations ne peuvent se faire que sur le principe de l’assimilation, que je revendique. Par ailleurs, sur l’Algérie, la diplomatie des bons sentiments est un fiasco. Nous payons le prix de notre faiblesse vis-à-vis du régime algérien. Il est temps de sortir de cette mauvaise conscience coloniale, et de ne pas nous placer en situation d’infériorité systématique par rapport à un régime qui veut l’abaissement de la France.
Avez-vous des nouvelles de l’écrivain Boualem Sansal, emprisonné depuis onze mois ?
Oui, de manière indirecte. Je salue la décision de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique qui l’a intégré dans ses rangs. L’emprisonnement de Boualem Sansal, c’est la liberté mise sous les barreaux. Autant qu’une injustice faite à un homme, c’est une offense faite à un peuple : le peuple français auquel Boualem Sansal a choisi d’adhérer par l’encre versée. Parce qu’il sait mieux que d’autres sans doute, que la France est un grande patrie littéraire.
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