Annie Genevard : « Écologistes et Insoumis bloquent tout débat à l’Assemblée »
La ministre dénonce la dérive d’une opposition minoritaire qui bloque « l’expression de la volonté générale », et coupe le lien entre les agriculteurs et les élus. Responsable des Investitures au sein des Républicains, Annie Genevard annonce « une vague bleue » pour les municipales de l’année prochaine.
Le mouvement de colère des agriculteurs semble repartir. La proposition de loi Duplomb et Menonville était censée leur apporter un certain nombre d’assouplissements, mais elle est largement remodelée par la gauche. Que pouvez-vous leur garantir ?
Le gouvernement soutient toute initiative équilibrée qui suit l’ambition de renforcer la souveraineté alimentaire. Le cap est clair : produire plus pour manger mieux, et, en cela, venir à bout de tous les freins qui brident l’initiative en agriculture sans pour autant desservir l’intérêt général. C’est le cas de cette PPL visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, issue d’une initiative sénatoriale transpartisane soutenue par près de 200 sénateurs.
L’examen du texte devait être un moment important. Il s’est déroulé en commission durant plus d’une semaine et les agriculteurs s’inquiétaient de quelques propositions ayant émergé lors de ce débat. Nous voulions en débattre en séance. Mais ce droit d’en débattre ne pourra pas s’exercer compte tenu de la volonté nette de deux groupes d’empêcher la possibilité d’examiner le texte dans les délais impartis, par un usage obstructionniste de leur droit d’amendement : 3440 amendements ont été déposés, sur un texte de 8 articles. C’est autant que le nombre d’amendements fiscaux déposés sur la loi de finances, qui comportait 64 articles ! Sur ces 3500 amendements, 70 % proviennent de deux groupes : LFI et EELV. Deux groupes sur les onze qui composent l’Assemblée nationale, rassemblant 19 % des membres, sont donc à l’origine de près des trois quarts des amendements déposés. Leur objectif est assumé : obstruer le débat pour empêcher l’adoption du texte, une conséquence inéluctable vu l’ampleur des amendements et l’étroitesse du délai d’examen. Si tel était le cas, cette proposition de loi pourrait ne pas voir le jour. Il faut absolument que cette obstruction cesse et que les propositions agricoles des sénateurs, soutenues par le gouvernement, soient examinées dans les délais impartis.
Cette obstruction parlementaire est de plus en plus en fréquente…
En tant qu’ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale, je m’inquiète que le cœur battant de notre démocratie parlementaire soit menacé par la volonté de quelques groupes. Cette obstruction par le dévoiement du droit d’amendement donne un droit de vie ou de mort sur des textes à une minorité de députés. Est-il normal qu’un groupe seul, très minoritaire, puisse empêcher l’adoption d’un texte par le dépôt de milliers d’amendements contre lesquels rien ne peut être fait ? À mes yeux, le Parlement est un des lieux d’expression de la souveraineté du peuple : c’est la fabrique de la volonté générale. Priver volontairement les représentants de la nation d’une possibilité de débattre de sujets agricoles, c’est très préoccupant.
Vous estimez que le système de prise de décision politique est bloqué ?
La grande question constitutionnelle est la suivante : la majorité au Parlement a-t-elle le droit de se défendre face à l’obstruction des groupes d’opposition pour garder le droit d’adopter des textes et de réformer la France ? Et il est urgent d’y répondre car avec le développement de l’intelligence artificielle, il est facile pour un député, d’ici demain, de déposer des millions d’amendements seul sur un texte. Cela n’est pas un fantasme : cela a déjà eu lieu en Italie récemment, un député ayant déposé plus de 80 millions d’amendements sur un texte pour en empêcher l’adoption. Si nous n’y prenons pas garde, il sera alors impossible d’adopter une seule loi en France par l’action d’un seul député en toute impunité. Il me semble capital d’aborder cette question. J’en appelle à une révision institutionnelle.
La gauche vous reproche de vouloir autoriser à nouveau l’usage d’un néonicotinoïde qui est potentiellement nocif pour les abeilles. Vous appuyez les agriculteurs au détriment de la préservation de l’environnement ?
Absolument pas. Opposer l’agriculture et l’environnement est un non-sens et une impasse. Je rappelle d’ailleurs que nombre d’articles de ce texte ont été travaillés, avec le Sénat, par le ministère de l’Agriculture et par le ministère de la Transition écologique. L’article 2, sur lequel ma collègue Agnès Pannier-Runacher a émis des réserves, comprend effectivement le retour, non pas des néonicotinoïdes, mais d’une des cinq substances de cette famille qui reste autorisée dans toute l’Europe car les scientifiques n’ont pas jugé nécessaire de l’interdire. Cette substance a été proscrite il y a quelques années par des parlementaires français qui ne sont pas, à ma connaissance, des scientifiques. Cette substance est autorisée partout en Europe. Est-ce à dire que les 26 autres États membres sont gouvernés par des empoisonneurs ? Je ne crois pas.
D’ailleurs, l’Allemagne a récemment décidé d’étendre à titre dérogatoire son utilisation. Pendant ce temps, l’interdiction instaurée en France en 2016 par le législateur demeure, plaçant nos filières agricoles dans une situation intenable, soumises à une concurrence déloyale de la part de nos voisins européens, mieux équipés pour protéger leurs cultures. Il est inacceptable que la France reste le seul pays européen dans cette impasse. C’est la raison pour laquelle le texte ouvre la voie à l’utilisation de cette substance à titre dérogatoire sous de strictes conditions pour certaines filières placées dans des situations d’impasse et durant un laps de temps précis. Nous accuser de vouloir renoncer à la protection de l’environnement est faux et caricatural. Nous sommes engagés dans une trajectoire de réduction de 50 % des pesticides d’ici à quelques années. C’est un objectif que j’ai fait mien et qui sera mis en œuvre. En revanche, nous devons en finir avec ce mal français qui consiste à surtransposer les textes européens au détriment de nos propres filières.
Sur le bio, qui traverse une crise importante, vous affirmez publiquement l’engagement du gouvernement, mais l’Agence bio dénonce une baisse des deux tiers de son financement. Vous arbitrez en faveur de l’agriculture conventionnelle ?
Nous mettons cette année 700 millions d’euros sur la filière biologique. Dire que l’État les abandonne est un peu fort de café. En 2023 et 2024, il y a eu une aide exceptionnelle dont a bénéficié l’Agence bio, mais comme tout ce qui est exceptionnel, cette aide n’a pas vocation à être pérenne. Par ailleurs, il ne vous a pas échappé que des efforts d’économie sont demandés à tous les ministères. Dans ce contexte, le fonds Avenir bio a retrouvé le financement dont il bénéficiait avant 2020, et même un peu plus, 8,8 millions d’euros au lieu de 8 millions d’euros. C’est donc un faux procès qui est fait au gouvernement. En outre, ce qui m’importe, ce sont les producteurs qui se sont engagés dans la bio au prix de beaucoup d’efforts. Je fais clairement la différence entre ce qui revient dans les cours de ferme des agriculteurs bio, et ce qui revient au fonctionnement d’une agence de l’État.
L’Europe va rétrograder le loup d’espèce « très protégée » à espèce « protégée », cela va-t-il permettre des tirs de régulation et à quelle échéance ?
Le vote au Conseil modifiant la directive européenne « Habitats » interviendra le 5 juin prochain, ce qui permettra de faire évoluer le niveau de protection du loup, dont l’état de conservation est satisfaisant, et surtout de renforcer les modes de protection des troupeaux. Dans le même temps, avec Agnès Pannier-Runacher, nous venons de mettre en consultation un projet d’arrêté qui reconnaît que les zones d’élevage bovin sont difficilement protégeables de la prédation du loup, et qu’en conséquence des tirs de défense pourront être opérés dès lors qu’un loup menace une vache, sans qu’il ait commis préalablement d’attaque. Je sais à quel point les éleveurs sont dans l’attente de pouvoir enfin se protéger.
Et je veux dire à tous ceux qui se préoccupent de bien-être animal qu’il y a beaucoup de souffrance éprouvée par les bêtes qui sont égorgées par le loup. La plupart du temps, elles ne sont pas mangées, mais rapidement saignées ou mordues et meurent dans des conditions atroces.
Laurent Wauquiez s’est vu proposer la vice-présidence des Républicains, mais l’a refusée. Craignez-vous que l’unité soit déjà fragilisée ?
Il faut se garder d’en tirer des conclusions définitives. Comme chacun l’a reconnu dans le parti, on n’y arrivera pas sans unité. Laurent Wauquiez lui-même l’a proclamé et s’y est engagé le soir même de la publication des résultats.
Vous avez en charge les investitures. Souhaitez-vous des listes d’union aux municipales partout où cela est possible, avec les partis du socle commun ?
Les Républicains sortent renforcés de l’élection de leur président, par la bonne tenue de la campagne d’abord. Cette nouvelle dynamique doit nous donner l’ambition d’être présents le plus largement possible et de gagner sous nos couleurs. C’est ce à quoi nous allons travailler, pour voir à nouveau une vague bleue sur nos territoires, là où l’ancrage de nos élus est ancien et robuste.
Bruno Retailleau semble vouloir rester ministre le plus longtemps possible. N’y a-t-il pas un risque, comme le disait Laurent Wauquiez, de dilution dans le macronisme ?
Les adhérents LR ont tranché cette question en créditant Bruno Retailleau d’un score très important. Ils ont validé sa présence au gouvernement. Lui-même a dit que tant qu’il pourra faire valoir ses propositions, agir pour restaurer la sécurité, lutter contre l’immigration incontrôlée, il assurera ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Enfin, je pense que la participation au gouvernement des ministres Républicains a permis de rendre à nouveau visible la droite, en responsabilité, et démontré sa capacité à « faire », ce que certains Français avaient peut-être oublié depuis bientôt 15 ans. Cela constitue un capital précieux qu’il ne faut pas dilapider imprudemment. Tant que l’on pourra agir sans être en contradiction avec ce en quoi nous croyons, nous resterons.
Comment désigner de votre candidat pour 2027 ? Xavier Bertrand est déclaré, David Lisnard se prépare et Laurent Wauquiez n’a pas renoncé… Faudra-t-il des primaires pour choisir ?
Toutes les questions qui ont trait à l’élection présidentielle me semblent très prématurées. D’autant que tout évolue très vite. Qui aurait pu penser qu’en août dernier, la droite reviendrait au gouvernement ? Que nous aurions même un Premier ministre issu de nos rangs ? Le contexte international est extrêmement mouvant, instable. Les déclarations péremptoires et les modalités de désignation ne sont pas le sujet du moment. Ce que les deux candidats à la présidence de notre mouvement ont affirmé, c’est qu’ils consulteraient les adhérents sur le choix final, le moment venu. Sous quelle forme précisément ? Cela reste à débattre.
À titre personnel, êtes-vous favorable à l’idée de primaires ?
Je mets en garde sur le fait que cela peut devenir une machine à diviser.
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