Michel Barnier : « Les Français nous demandent de nous mettre d’accord »
Après sa victoire à Paris lui permettant de retrouver l’Assemblée nationale, le nouveau député confie son inquiétude face aux « grandes turbulences » à venir.
Quels sont vos sentiments au lendemain d’une victoire à Paris qui vous permet de retrouver un siège de député, trente-deux ans après l’avoir quitté ?
Je n’étais pas à la recherche d’un poste. Mon souci est d’être utile. C’est pour cela que je me suis réengagé, pour être sur le pont à un moment où il faut l’être. Nous sommes devant de grandes turbulences. Le problème le plus grave, c’est celui de la confiance dans la politique. Chacun doit donc prendre sa part, sinon il ne faudra pas s’étonner que des choses improbables se produisent, comme la victoire d’un parti extrême à la présidence de la République.
Que retenez-vous de cette bataille dans la 2e circonscription ?
Nous avons fait une belle campagne. J’ai une grande reconnaissance à l’égard de Florence Berthout, maire du 5e arrondissement, qui s’est engagée à mes côtés dès le début, avec Les Républicains, Horizons, les militants sur le terrain… C’était un beau symbole : nous avons gagné grâce au travail collectif entre les quatre partis de ce que j’avais appelé, quand j’étais à Matignon, le « socle commun ». Ces partis constituent certes une majorité relative mais moins relative que celle de la gauche ou de l’extrême droite. Je ne sais pas quel sera l’avenir de ce socle mais je vois que mon parti progresse. Ces partis doivent travailler ensemble avec leurs différences et leurs singularités, sinon il n’y aura aucune victoire électorale possible.
Pourquoi la socialiste Frédérique Bredin a-t-elle perdu face à vous ?
Le PS dit qu’il s’est détaché des Insoumis mais la candidate socialiste n’a cessé de faire des appels du pied aux électeurs de LFI. Cette ambiguïté du PS n’a pas été tranchée et va perdurer. C’est peut-être pour cela que ce parti pourrait prendre à nouveau le risque d’être irresponsable en votant une censure. Dans cette circonscription, en particulier dans le 5e arrondissement, c’est la première fois depuis très longtemps qu’un candidat de la droite et du centre arrive en tête. Pourquoi ? Sans doute parce que nous avons parlé de tout pendant cette campagne. L’Europe est un sujet que je n’abandonnerai pas à d’autres, au même titre que je n’abandonnerai pas la culture à la gauche, la justice au Parti socialiste et l’environnement aux Verts. Pas question de laisser non plus la maîtrise de l’immigration au RN !
Comment appréhendez-vous votre arrivée au sein du groupe Droite républicaine, présidé par Laurent Wauquiez ?
J’ai toujours été loyal et libre. Laurent Wauquiez m’a accueilli. Nous avons des sensibilités différentes mais il n’y a pas de problème entre nous.
Pourriez-vous être président de groupe ?
Cela n’a jamais été mon intention.
Vous dites ne fermer aucune porte à 2027. Quel travail comptez-vous mener d’ici là, en tant que député ?
En mémoire de l’action d’Olivier Marleix, je veux reprendre sa proposition sur le prolongement de la durée de rétention des OQTF dangereux. Nous devons veiller à ce que ce travail parlementaire passe le contrôle du Conseil constitutionnel. Il y a d’autre part le sujet de la santé mentale que je ne lâcherai pas. Ensuite, le gros chantier concerne la réforme de l’État. D’ici à un an, je veux mettre un rapport sur la table du débat présidentiel, à la disposition de tous les partis, pour rendre l’État plus efficace et moins dépensier. Enfin, je compte bien porter un regard exigeant sur la politique européenne de la France. Et l’indépendance de l’Europe.
En quittant Matignon, vous aviez dit que la situation était grave. Que dites-vous aujourd’hui ?
La République est fragile. Ce n’est pas première fois que je ressens cela mais, cette fois, je suis très inquiet. Nous sommes dans l’incapacité d’agir. On ne sortira de cela qu’avec une élection présidentielle et une majorité parlementaire claire. Mais dans cette impasse, il n’y a pas d’autre solution que de faire ce que l’on peut appeler du « cabotage ». Il y a un chemin étroit pour le premier ministre actuel, comme il y en avait un pour François Bayrou et pour moi, à condition qu’il n’y ait pas de chutes de pierres. Le Parti socialiste et le Rassemblement national doivent faire attention à la France.
Sébastien Lecornu est-il encore plus menacé que ses deux prédécesseurs ?
La situation s’est aggravée mais l’équation est exactement la même. Nous sommes toujours confrontés à la question du déficit budgétaire. L’effort doit être collectif et repose sur deux conditions : il doit être juste et s’inscrire dans la durée. On doit redonner des perspectives à cet effort, sinon les Français n’y comprennent rien.
Vous avez essayé mais cela n’a pas été suffisant…
Je n’ai pas eu vraiment le temps de le faire. J’ai voulu laisser le débat se dérouler à l’Assemblée et au Sénat pendant un mois, au point d’aboutir à une copie folle et insensée sur le plan fiscal. J’ai alors pris mes responsabilités et j’ai été censuré.
A priori, s’il n’y a pas de raison pour que le projet de Sébastien Lecornu aboutisse à autre chose qu’un blocage, trouveriez-vous justifié l’usage du 49.3 in fine ?
Oui, bien sûr. Il faut discuter avec les chefs de parti mais il serait conforme à l’intérêt du pays que le Parti socialiste et le Rassemblement national, au bout d’une discussion sincère et franche, s’accordent sur une trêve à l’égard du gouvernement. Ils ne devraient pas reprendre le risque de l’instabilité. Je rappelle que la censure qui m’a fait tomber a coûté au moins 9 milliards d’euros aux Français. Chacun va devoir rendre des comptes au pays.
Avez-vous échangé avec le premier ministre ?
J’ai reçu un SMS pour mon élection mais je n’ai pas eu de contact sur le fond avec lui. Je suis disponible s’il a besoin de m’écouter.
Que doit attendre la droite en termes de portefeuilles ministériels ?
Les ministres doivent avoir du temps. La stabilité est fondamentale pour le bon fonctionnement de l’État. C’est vrai aussi pour la sécurité et pour la lutte contre l’immigration clandestine. Certains ministres qui ont fait leurs preuves et qui sont compétents, comme c’est le cas de Bruno Retailleau à l’Intérieur, devraient rester en place.
Laurent Wauquiez devrait-il être également sollicité ?
Laurent a les qualités pour redevenir ministre. Ce n’est pas à moi d’en décider.
Sébastien Lecornu a annoncé la hausse de certains impôts – ce contre quoi LR est opposé.
J’avais moi-même proposé une contribution exceptionnelle pour deux ans des plus hauts revenus. Ce n’était pas L’ISF ! J’entends bien que les Français en ont ras le bol du matraquage fiscal. La taxe Zucman est une taxe contre l’emploi, contre les entreprises, contre l’outil professionnel. Elle est impossible.
Nombre de voix ont dénoncé la décision de justice entraînant l’incarcération prochaine de Nicolas Sarkozy. Quelle est votre position ?
J’ai toujours refusé de commenter une décision de justice. Et je n’aime pas que l’on mette en cause les juges, ni qu’on les attaque. L’indépendance de la justice est une clé pour la République et l’ordre public. J’ai été le ministre de Nicolas Sarkozy et il reste mon ami. Enfin, il n’est pas interdit d’exprimer une critique de certaines disproportions et incohérences. Notamment les conséquences de l’application immédiate de certaines peines avant même que le dernier recours soit instruit et sanctionné par une décision de justice. Cela concerne notamment Mme Le Pen, Nicolas Sarkozy et d’autres.
Si Rachida Dati était touchée par une peine d’inéligibilité, seriez-vous prêt à relever le défi à la mairie de Paris ?
Rachida Dati a été loyale et m’a soutenu. Elle a le droit, comme tout le monde, à la présomption d’innocence. Mon engagement est clair : je ne serai pas candidat à la mairie de Paris et là, comme ailleurs, je travaillerai à l’union.
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