Annie Genevard : « La PAC doit rester une œuvre européenne collective »
La ministre de l’Agriculture Annie Genevard assistait, lundi 23et mardi 24 juin, à un Conseil des ministres de l’Agriculture européens à Luxembourg. Sur la table, deux sujets brûlants : le Mercosur et la prochaine politique agricole commune . Elle l’évoquera aussi à Rome vendredi, avec son homologue italien Francesco Lollobrigida.
Depuis la signature de l’accord avec les pays du Mercosur, le 6 décembre, vous êtes engagée dans un combat contre sa mise en œuvre, au motif qu’il pourrait nuire à plusieurs filières agricoles (viande bovine, volaille, sucre, éthanol). Trouvez-vous des appuis en Europe ?
La position de la France est claire et constante. Le président l’a dit, le Premier ministre, le ministre des Affaires européennes et moi-même le répétons : le projet tel que conclu à Montevideo n’est pas bon, car il ne contient ni mécanismes de protection de nos agriculteurs, ni clauses de sauvegarde pour nos filières, ni garanties sanitaires pour les consommateurs, ni même études d’impact. Nous ne sommes pas contre les accords de libre-échange, qui, d’ailleurs, bénéficient à l’agriculture et à l’agroalimentaire européens. Ces secteurs génèrent un solde commercial positif de 64 milliards d’euros. Mais l’accord du Mercosur est daté. Il a été négocié à une époque où les exigences sociales, sanitaires et environnementales étaient moindres, et où les conditions économiques des filières étaient sans doute moins tendues. L’Europe veut repenser les principes généraux qui régiraient les accords commerciaux du futur, en sanctuarisant la protection des filières agricoles et sa vigilance sanitaire. Le Mercosur n’intègre rien de tel.
Pensez-vous pouvoir faire bouger les lignes en Europe ? Atteindre une minorité de blocage, soit au moins quatre pays et 35 % de la population ?
Les lignes évoluent déjà. Je comprends des échanges que j’ai eus ces derniers jours à Luxembourg que la Pologne, l’Autriche, la Hongrie, l’Irlande ne veulent pas voter pour un tel accord. D’autres pays expriment des inquiétudes, demandent que les études d’impact soient généralisées – la Finlande, par exemple, s’inquiète des effets cumulés des différents accords, rarement pris en compte. L’Italie, grand pays agricole, émet maintenant des réserves ; je vais en rediscuter vendredi à Rome avec mon homologue. Nous pourrions donc obtenir une minorité de blocage. Mais il est aussi possible que des pays s’abstiennent finalement lors d’un vote. La majorité requise pour valider l’accord (65 % de la population européenne) pourrait alors ne pas être atteinte. La France reste active et mobilisée.
La Commission européenne devrait présenter le 16 juillet, en même temps que son cadre financier pluriannuel, les grandes lignes de la PAC 2027-2032. Quelle PAC la France défend-elle ?
D’abord, comme tous les autres pays européens, la France dit son inquiétude sur le devenir de ce qui reste le plus important budget de l’Union européenne et la politique commune la plus aboutie. Le commissaire à l’Agriculture, Christophe Hansen, nous dit qu’il y a d’importantes pressions sur le budget agricole, une réticence des Etats à fournir de nouvelles ressources. Il maintient aussi que la PAC doit rester une politique autonome, commune, indépendante des autres politiques de l’UE, et il pense l’obtenir. La France demande un budget doté de moyens à la hauteur des enjeux et des défis. Selon moi, le budget de la PAC doit être maintenu, en intégrant l’inflation, afin d’éviter une érosion continue, comme celle qu’on observe depuis plusieurs années.
Mais il faut aussi renforcer la défense européenne, rembourser l’emprunt Covid de 600 milliards d’euros… Comment faire ?
Les choix budgétaires sont des choix politiques. Il y a des priorités : ce n’est pas chars ou nourriture, mais chars et nourriture, au même niveau. On aura beau défendre militairement l’Europe, si elle est dépendante de puissances potentiellement hostiles pour se nourrir, elle sera vulnérable. Le budget doit absolument intégrer la dimension stratégique de l’alimentation.
Les enjeux sont vitaux : il s’agit de la sécurité et de la souveraineté alimentaires de l’UE, dans un monde beaucoup moins sûr qu’il y a cinq ans. Les relations internationales se sont tendues, avec le retour de barrières douanières imprévues en Chine, aux Etats-Unis. L’alimentation est devenue un enjeu géopolitique, une arme de guerre, comme le conflit russo-ukrainien le montre, un élément de déstabilisation, comme les printemps arabes l’ont prouvé, comme maintes fois dans l’histoire de l’humanité. Il faut un secteur agricole solide pour résister. Il doit aussi affronter le changement climatique, qui bouleverse les choix culturaux et fait peser de nouvelles menaces épizootiques sur les élevages. Il doit poursuivre une transition écologique de fond, en économisant l’eau, les intrants. Et il doit aussi affronter le vieillissement des agriculteurs et se renouveler.
La perspective d’une « décommunautarisation » de l’agriculture, avec une latitude plus grande laissée aux Etats, pour contourner la baisse du budget, vous semble-t-elle souhaitable ?
Absolument pas. L’organisation de la PAC doit rester articulée autour de deux piliers qui garantissent le revenu des agriculteurs et les aspects communs de la politique. Une renationalisation de la PAC porterait atteinte à l’unicité du marché intérieur et créerait des distorsions de concurrence entre Etats. Ce serait une erreur politique majeure. La PAC doit se simplifier, trouver un équilibre entre la norme et la liberté d’entreprendre, et favoriser la sauvegarde de la compétitivité ; elle doit inciter aux bonnes pratiques environnementales et climatiques. Pour cela, elle doit rester une œuvre européenne collective.
Le travail sur la politique agricole commune recèle une très importante inconnue. Que faire de l’Ukraine ? Le pays demande son adhésion accélérée à l’Union, qui pourrait intervenir avant la fin de la prochaine PAC. L’Europe peut-elle faire face ?
La perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’UE est effectivement un sujet de préoccupation important dans le cadre de la PAC… d’autant que la libéralisation des échanges pour soutenir le pays au début de la guerre a eu des effets importants sur certains marchés agricoles européens (volailles, céréales, sucre…), et sur les pays voisins. Il va déjà falloir revoir l’accord commercial actuel, en prévoyant des clauses de sauvegarde pour les productions européennes.
Avec l’Ukraine, on parle d’un modèle agricole à très grande échelle, sans équivalent dans l’Union actuelle. Une éventuelle intégration rapide me semble soulever de nombreuses questions. Il faut évaluer précisément les conséquences, et s’assurer que les productions ukrainiennes respectent nos normes de qualité, sanitaires, environnementales et sociales. Avant l’échéance de la prochaine PAC, une telle intégration me semble inenvisageable.
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